L'évènement de ce début d'année fera date dans les annales culturelles de la ville. Pour sa première prestation à Constantine, lors du concert Chœurs de Cordoue, Souad Massi a été tout simplement sensationnelle. Pour preuve, l'évènement culturel de ce début d'année, organisé mardi soir par l'institut culturel français de Constantine, et abrité par le centre culturel Ibn Badis (ex-UP), a été d'une qualité artistique rare et exceptionnelle. Très attendu depuis son annonce, il y a quelques semaines, il a attiré la foule des grands jours. Une demi-heure avant l'entame, la salle était déjà presque pleine. Devant le portail, une file avance lentement et calmement. Pas de bousculades. Des personnes âgées attendent leur tour, avec une foule de lycéens et d'étudiants. «Cela nous rappelle la nostalgie des belles années où la ville respirait la musique», dira une vieille dame. «Même si on paraît vieux on aime beaucoup ce que fait Souad Massi ; elle a une voix magnifique», réplique un sexagénaire. L'apparition sur scène d'une silhouette frêle habillée en noir déclenche une salve d'applaudissements. Le bouillonnement à l'intérieur de la salle cèdera la place à un silence religieux. La communion entre une star adulée, accompagnée de son inséparable guitare, et un public aux anges. Des moments de pur bonheur. Comme dans une veillée au clair de lune, sous le ciel étoilé qui couve les jardins de Cordoue la tolérante, Souad Massi entame par une lecture de poèmes de la belle et rayonnante époque andalouse. A ses côtés, Eric Fernandez caresse les cordes de sa guitare comme s'il flirte avec une belle gitane. Le rythme monte doucement et tendrement. Le public, rêveur, se laisse emporter à travers des titres comme «Nebki», «Kifache ma yghidniche El Hal», «Eddar Fargha», «Ahlem» et autres. Des chansons qui feront l'objet prochainement d'un nouvel album. Intitulé «Chœurs de Cordoue», le spectacle est le fruit d'une rencontre entre Souad Massi, une chanteuse à la voix angélique et au talent confirmé, et Eric Fernandez, un guitariste aux compositions éclectiques. Un duo qui crée un métissage de sonorités faisant renaître Cordoue la tolérante de l'Espagne médiévale lorsque religions et culture cohabitaient en toute intelligence. Le résultat est un véritable patchwork que l'assistance a savouré pendant 80 minutes de bonheur. Al Moutanabi sur un air de flamenco Outre Souad Massi et Eric Fernandez, la troupe compte également Alexandre Leauthaud, un grand virtuose de l'accordéon qui a fait vibrer la salle, José Cortes, un spécialiste inévitable des percussions et le non moins célèbre Rabah Khalfa, celui que la jeune génération née après l'époque faste des années 1970 ne connaît pas, alors que le fameux percussionniste était un des plus célèbres joueurs de derbouka en Algérie. Il a fait ses preuves comme membre de l'orchestre musical de la télévision algérienne, dirigé à l'époque par le fameux Boudjemia Merzak. Le public a découvert aussi que Si Rabah, comme certains aiment à l'appeler, avait aussi un don pour la chanson. Chose qu'il a prouvé durant cette soirée, avec un magnifique Istikhbar algérois interprété avec brio. On ne dira pas assez de la belle Sabrina Romero qui a gratifié les présents de passages de danse du genre flamenco, qui n'ont laissé personne indifférent. Pour donner plus de beauté et de gaieté à cette ambiance envoûtée, Souad Massi et tout en rendant hommage aux illustres poètes de l'Andalousie, Ibn Zeïdoun et Ibn El Khatib, surprendra tout le monde en interprétant la fameuse qasida d'El Moutanabi (El lailou wal khaylou wal baydaou taârifouni) sur un air de flamenco face à une foule qui n'en revenait pas. La star de la soirée a conquis son public, composé essentiellement de jeunes. Ces derniers la surprendront à leur tour en chantant avec elle son fameux titre Raoui (conteur). Une chanson réclamée avec instance et qui sera le musc de la fin, comme diront certains. Le spectacle qui a connu un vif succès fera date dans les annales culturelles de la ville. Un fait qu'on n'a pas souvent l'habitude de vivre pour briser l'ennui. Souad Massi a été égale à elle même. En dépit des signes apparents d'une fatigue, à l'origine de l'annulation d'une conférence de presse qu'elle devait animer quelques heures avant son spectacle, elle a tenu à être sur scène pour le grand plaisir de tous ceux qui sont venus de loin pour la voir. L'on saura de son entourage que la longue tournée qui la menée à travers les grandes villes d'Algérie a fini par causer quelques soucis de santé, qu'on espère passagers. On ne manquera pas de tirer au passage un grand coup de chapeau pour les organisateurs de cet évènement.