Les analystes sont franchement pessimistes, mais sans partager pour l'instant du moins les bulletins de victoire de la rébellion armée tchadienne, et annonçant le lâchage par la France du régime en place. Celui-ci semble se payer de mots en déclarant avoir brisé l'avancée de l'opposition armée, mais celle-ci campe désormais aux portes de la capitale N'Djamena, et cela après avoir parcouru des centaines de kilomètres sans trop de heurts. Ce qui signifie un vide autour de la capitale. Plus que cela, la nature même de l'opposition pose problème et tend donner un autre caractère à ce conflit, les accusations de complot extérieur ne tenant ou si peu, en ce qui pourrait concerner un appui, mais sans plus. C'est ainsi dit-on, que ce sont des proches du président Idriss Deby qui ont pris la tête de la rébellion, pour déclencher ce qu'on appelle déjà la guerre du pétrole. A vrai dire, le régime de M. Déby fait face simultanément à une opposition politique qui a appelé au boycottage de l'élection présidentielle du 3 mai pour laquelle il est donné favori après avoir amendé la constitution, et à une rébellion militaire composée d'une dizaine de mouvements. Plus que cela, son régime, en place depuis 1990, est affaibli par la défection d'une partie de son propre clan ethnique. En ce qui concerne l'état des lieux, c'est un calme très précaire. N'Djamena, autour de laquelle la rébellion avait resserré son étau, a retrouvé le calme, jeudi après plusieurs heures de combats entre forces armées et rebelles. Le président tchadien a affirmé, jeudi matin, sur Radio France internationale, que les colonnes de rebelles du FUC, qui avaient attaqué plus tôt N'Djamena, avaient été détruites et que la situation était « sous contrôle ». Toutefois, selon les rebelles, cités par l'agence d'information Alwihda, la situation est critique pour le président tchadien, qui « aurait pris la poudre d'escampette, mercredi vers 17 heures, vers une destination inconnue ». Selon d'autres sources, il pourrait se trouver dans un camp retranché près de N'Djamena. Mais très certainement, les véritables informations sont à rechercher du côté de l'état-major français qui n'a pas hésité à qualifier de sérieuse la situation que vit le Tchad, un des pays abritant des bases militaires françaises en Afrique. Ce qui est susceptible de donner une autre dimension à cette guerre, mais Paris a démenti les accusations du Front uni pour le changement (FUC), selon lesquelles, ses forces étaient intervenues militairement pour soutenir le régime du président Idriss Déby. « Depuis ce matin, dans l'est du Tchad, l'armée française intervient militairement avec des avions. Et nous déplorons dans les villes d'Adré et de Moudeïna (d'où est partie la rébellion, près de la frontière avec le Soudan) de nombreuses victimes civiles des bombardements français », a affirmé jeudi le représentant en France du FUC, Laona Gong, en ajoutant « n'avoir pas de chiffres exacts » sur les victimes. M. Gong a déploré que la France « n'observe pas la neutralité » et soutient « aveuglément » le régime du président Idriss Déby. Le porte-parole du ministère de la Défense a estimé que ces affirmations étaient « sans aucun fondement et sans aucun sérieux ». Paris a toutefois reconnu qu'un Mirage français avait tiré mercredi « un coup de semonce » en direction d'une colonne de rebelles qui faisait route vers la capitale. Questionné à plusieurs reprises sur cette intervention, le porte-parole a affirmé qu'il n'avait « pas d'objectif militaire ». L'avion « n'a pas tiré vers les rebelles », selon lui. Il s'agissait d'« un signal adressé aux belligérants », de « caractère psychologique ou politique, traduisant notre préoccupation de la situation et notre vigilance par rapport à la mission de nos forces : la protection de nos ressortissants ». Comme on lui demandait qui avait donné l'ordre de ce « coup de semonce », et notamment s'il émanait de l'Elysée, M. Bureau est resté évasif : « Je n'en sais pas plus. » Le ministère a parlé de rebelles « infiltrés » à N'Djamena, dont les « actions isolées, ponctuelles », « ne traduisent pas une action coordonnée d'unités organisées ». « Aucun Français n'était menacé ce matin à N'Djamena », a-t-il ajouté. Questionné sur un refus qu'aurait opposé le président tchadien, Idriss Déby, à une offre française d'évacuer sa famille, M. Bureau a acquiescé implicitement. Autant de questions autour de cette guerre démontrant son ampleur, et aussi l'embarras de la France, dont la position actuelle ramène ce conflit à de strictes considérations intérieures. Ce qui n'a pas empêché le ministre tchadien de l'Administration territoriale d'accuser le Soudan voisin d'aider la rébellion. Khartoum a démenti, affirmant au contraire avoir « expulsé » des rebelles en début de semaine. Mahamat Ali Abdallah avait en outre dressé un bilan des combats dont la zone avait englobé jusque et y compris le bâtiment du parlement. « On compte des morts par centaines côté rebelles, beaucoup de matériel a été saisi », a ajouté ce responsable. Des sources humanitaires ont estimé dans la soirée que les combats dans la capitale avaient fait au moins 250 blessés. Mais aucun bilan des morts n'était disponible. Le secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, « très troublé », a « condamné fermement » toute tentative de prendre le pouvoir par la force. Le Conseil de sécurité de l'ONU a commencé des discussions sur le Tchad et pourrait, selon une source diplomatique, adopter une déclaration appelant les deux voisins à respecter les accords de Tripoli du 8 février, par lequel ils s'étaient interdit d'entretenir sur leur territoire des rébellions ou de mener des activités hostiles à l'autre. La rébellion se rendra-t-elle à celle évidence, ou préférera-t-elle la sienne, c'est- à-dire sa logique de guerre après s'emparer du pouvoir ? C'est déjà un conflit de plus en Afrique. Un de trop.