Trente années de guerre au Tchad. Là est la triste réalité d'un pays qui a connu bien des péripéties, à vrai dire depuis son indépendance. Les chefs de guerre se succèdent à la tête de ce pays, où l'odeur du pétrole, fraîchement découvert, attise toutes les convoitises et même toutes les ambitions. Ainsi en est-il de ce nouvel épisode, dont on ne sait pas s'il faut en faire un prolongement des conflits régionaux à l'image de celui du Darfour, cette province soudanaise entrée en rébellion contre le pouvoir central, ou tout simplement un règlement de comptes entre voisins, puisque depuis quelques mois, les accusations vont au rythme des incursions d'opposants tchadiens armés. Mais cette fois, cela semble extrêmement sérieux, puisque la France, qui dispose dans ce pays d'une base avec quelques centaines de militaires d'hommes, a fini par dire son inquiétude. Une réaction qui a valeur d'avertissement en ce qui concerne l'avenir du régime en place et du président Idriss Deby lui-même venu au pouvoir par la force des armes. Ces événements interviennent à moins de trois semaines de l'élection présidentielle du 3 mai, dont le président Deby, au pouvoir depuis 1990, est le grandissime favori en l'absence de candidat de l'opposition. En ce qui concerne la situation sur le terrain, les informations étaient contradictoires hier. D'un côté, les autorités tchadiennes affirmaient avoir stoppé l'offensive des rebelles du Front uni pour le changement (FUC), qui s'étaient rapprochés mardi à moins de 400 km de la capitale N'Djamena en prenant le contrôle de la ville de Mongo. Au lendemain de trois jours d'attaques menées par la rébellion en plusieurs points de l'est et du centre du pays, le ministre de la Défense a annoncé que les troupes fidèles au président Idriss Deby avaient repris le contrôle de Mongo et dispersé les colonnes du Fuc dans la région. « La ville de Mongo est sous contrôle de l'armée tchadienne depuis 19h (18h GMT) hier (mardi) soir », a déclaré Bichara Issa Djadallah. « Des hélicoptères de l'armée ont attaqué les positions des rebelles dans la région de Bitkine (60 km à l'Ouest de Mongo). Les rebelles se sont dispersés dans la région et, depuis ce matin, l'armée tchadienne les poursuit », a ajouté le ministre de la Défense. « La situation est sous contrôle », a insisté Bichara Issa Djadallah. Quant à l'autre version des faits, elle était donnée par un porte-parole du Fuc. Celui-ci a tout simplement démenti ces informations de manière catégorique. « Mongo n'a pas été reprise par l'armée tchadienne, c'est complètement faux », a déclaré Abdoulaye Abdelkerim, membre du bureau exécutif du Fuc. « Un hélicoptère de l'armée tchadienne a bien bombardé hier (mardi) soir la ville mais une partie de nos forces se trouve toujours actuellement à Mongo », a poursuivi le porte-parole des rebelles. « Nos forces n'ont pas été dispersées », a poursuivi Abdoulaye Abdelkerim, se refusant à préciser leurs positions. « Nous sommes plus près de N'Djamena qu'hier », s'est-il contenté d'ajouter. Mardi à la mi-journée, plusieurs centaines de rebelles du Fuc se sont emparés, sans résistance, de Mongo, avant de poursuivre leur offensive vers le Nord en direction d'Ati, située sur la route qui relie la capitale tchadienne à Abéché, 700 km à l'Est. Selon le ministre de la Défense, les rebelles n'ont pas réussi à atteindre la ville d'Ati, à une centaine de kilomètres au Nord de Mongo. Le ministre tchadien de la Défense a confirmé que d'importants effectifs venus du sud du pays et de la région du lac Tchad (Ouest) notamment avaient été dépêchés en renfort à N'Djamena et sur les différents fronts ouverts par les rebelles depuis trois jours. Dimanche, les hommes du Fuc avaient pris le contrôle de la garnison d'Haraz Manguegne (Sud-est), près de la frontière centrafricaine et lundi la localité de Koukou (Est), à 50 km au sud-est de la ville de Goz Beïda, à moins d'une centaine de km de la frontière soudanaise. La situation était calme hier matin dans les rues de N'Djamena, où aucun mouvement particulier de militaires ou de forces de l'ordre n'était visible. Mais il est des signes ou des actes qui incitent plus qu'à la simple interrogation. Comme le fait que le lycée français de N'Djamena, qui accueille 430 élèves, ait été fermé dans la matinée « étant donné l'accélération des événements », selon une source proche de l'ambassade de France. « Il s'agit d'une seule et même opération dont l'objectif ultime est la capitale, N'Djamena et la chute du président Déby », a expliqué mardi Moussa Issa, ancien préfet récemment passé dans la rébellion. Signe des tensions militaires, un avion de l'ONU devait évacuer, mardi, l'essentiel du personnel du Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés de la zone de Goz Beïda pour n'y plus laisser qu'un seul expatrié, a annoncé une source humanitaire. Le coup d'envoi de cette grande offensive rebelle a été donné au lendemain des violents combats qui ont opposé le 30 mars dernier l'armée aux hommes du FUC autour de la localité de Moudeïna, dans l'Extrême est du pays. Cette bataille s'est notamment soldée par la mort du chef d'état-major de l'armée de terre et neveu du chef de l'Etat, le général Abakar Youssouf Itno. « Depuis l'attaque de Moudeïna, l'armée tchadienne est en difficulté, parce que les incursions viennent de partout », a commenté un responsable militaire. « La bataille de Moudeïna a été un tournant, car de nombreux chefs ont été tués, ce qui a porté un gros coup à l'organisation de l'armée et à son moral », a-t-il ajouté sous le couvert de l'anonymat. Après ce choc, « toutes les troupes disponibles sont parties vers l'Est », selon ce responsable. Le 23 mars, le président Déby avait annoncé la victoire de ses troupes sur une autre rébellion, le Socle pour le changement, l'unité nationale et la démocratie (SCUD) et assuré avoir « mis un terme à tous les désordres » dans l'Est. Il reste que le Tchad fragilisé par des décennies de guerre, a plus que jamais besoin de paix. Rien n'est aussi évident, surtout que le contexte régional est fait parfois de défiance, sinon de graves suspicions, après avoir été un immense marché d'armes après les guerres des années 1980 et aussi le refuge pour des centaines de milliers de personnes dont on disait qu'elles n'avaient pas toutes la vocation de réfugiés.