Et ce qui devait arriver arriva ! Il était temps pour certains - les optimistes ou les crédules - et trop tard pour les autres, comprendre ces « empêcheurs de tourner en rond ». Les perfectionnistes et les « malades » du travail bien fait n'ont pas bonne réputation en Algérie. Après avoir traîné les casseroles d'anti-révolutionnaires et de réactionnaires du temps du parti unique, voilà qu'on les accuse d'être contre telle ou telle réforme. Il est exigé d'eux qu'ils se taisent même si c'est pour annoncer l'imminence d'un sinistre programmé. Ils se doivent de laisser « les experts » continuer leur besogne. Qu'importe le prix à payer, puisque ce ne sont pas ces derniers - ni leurs enfants - qui payeront la facture de décisions annoncées en grande pompe et finalement... revues à la baisse. L'état d'un terrain réfractaire ainsi que la pression des parents ont amené les concepteurs du nouveau système d'évaluation à revoir leur copie. Le dispositif d'évaluation du travail des élèves mis en place en septembre 2005 a soulevé - ne l'oublions pas - la colère des parents, des élèves et des enseignants. Des dizaines d'articles de journaux, des lettres de lecteurs, des appels radiophoniques et une pétition forte de quelques milliers de signatures de parents initiée du côté de la ville d'Oran : c'est là l'accueil réservé à cette disposition dite réformatrice. Dès l'entame, un mois après la rentrée scolaire de septembre 2005/2006, les critiques ont commencé à fuser ça et là : séances d'évaluation trop rapprochées, trop fréquentes et surtout traumatisantes pour une certaine catégorie d'élèves, plus particulièrement ceux du primaire. Des enfants, très bons élèves les années précédentes, ont sombré et bien des parents nous ont relaté des cas de phobie scolaire suite à la pression de cette évaluation. Mea-culpa et contradiction Le ministère de l'Education nationale a jugé utile de marquer une pose dans son calendrier pour évaluer ce nouveau dispositif d'évaluation. La rencontre de ses cadres avec des inspecteurs et des enseignants a eu lieu à l'Institut national de formation des professeurs de Ben Aknoun ce dimanche 9 avril 2006. La question brûlante était sur toutes les lèvres : faut-il maintenir la pression exercée sur les élèves par ce dispositif ou doit-on corriger ce dernier ? Dans l'esprit des concepteurs cette pression n'a pas lieu d'être évacuée de la stratégie pédagogique, puisque les examens de passage d'un cycle à un autre - une vieillerie des siècles passées -sont toujours là. Reste à voir les correctifs. Le mea-culpa des responsables du secteur présents à l'ouverture de cette rencontre nous renseigne sur les conditions qui ont entouré la préparation et le lancement de ce nouveau dispositif. Selon Khellaf Brahim, chef de cabinet du ministre, il ne fallait pas attendre six mois pour faire l'évaluation de la mesure. Il reconnaît en outre que la fréquence des devoirs est devenue assez lourde. Il dira : « Les critiques émises sur le terrain par nos partenaires concernent surtout la fréquence du contrôle des acquis des élèves. Le temps consacré à l'évaluation entraîne une surcharge de travail, et ce, au détriment du temps à consacrer aux activités d'enseignement. » Même son de cloche chez Abbassi Brahim, directeur central chargé de l'évaluation : « Le retour à une seule composition par trimestre est envisageable. Aujourd'hui, nous avons constaté des difficultés sur le terrain et les travaux d'atelier de cette rencontre nous aideront à trouver des solutions. » Dans l'attente de ces solutions, l'observateur convoque le bon sens pédagogique pour s'étonner de la précipitation avec laquelle ces modalités d'évaluation ont été engagées. Il ne faut pas sortir de Saint-Cyr pour prévoir et la surcharge de travail - pas seulement pour l'élève - et les tensions conflictuelles sans parler des traumatismes causés aux élèves - pas tous heureusement. Qui s'en souciera ? Ils iront remplir la littérature des risques du métier ou à la limite meubler le chapitre des pertes et profits de l'institution. Le ministère aurait pu anticiper cette levée de boucliers s'il avait pris le temps de cerner la problématique de l'évaluation dans son ensemble. A ce niveau du débat, on ne peut taire une contradiction monumentale, source du malaise généré par les décisions de septembre 2005. Il s'agit de la conception des programmes scolaires dorénavant mis sur l'orbite de « l' approche par les compétences ». Voilà un concept emprunté au monde de la gestion économique et adapté depuis un peu plus de deux décennies à l'éducation scolaire par certains pays développés. Un concept loin de faire l'unanimité parmi les experts et les spécialistes pour la bonne et simple raison qu'il est difficile, voire impossible de lui adapter un dispositif d'évaluation spécifique. Qu'est-ce qu'une compétence ? Question anodine à laquelle des dizaines d'ouvrages, des multitudes de rencontres d'experts n'ont pu répondre avec précision. Importé en Algérie récemment, les autorités ont vite fait de l'adopter dans les programmes et inévitablement dans les manuels et la pratique des enseignants. Mais ces derniers, leurs inspecteurs, voire même les concepteurs des programmes et les créateurs de manuels (les deux missions étant distinctes) n'ont pas reçu la formation qui va avec. Par quel miracle ont-ils donc assimilé ces nouveaux programmes par les compétences et mieux - abordé tambour battant une évaluation effrénée non pas des connaissances comme de tradition mais... des compétences. Au Canada pour ne citer que ce pays, il a fallu une dizaine d'années de sensibilisation et de formation / recyclage pour voir le concept les compétences) se familiariser avec le paysage scolaire ... - et encore ! - des zones d'ombre persistent. C'est dans la manière d'évaluer ces compétences - passons sur la définition ou leur listing - que les difficultés surgissent. En Finlande - ce pays qui caracole en tête du palmarès mondial en matière de qualité de l'enseignement -, l'évaluation à « l'algérienne » est bannie de la scolarité des petits Finnois. L'Algérie n'a apparemment pas eu ce genre de problème à digérer, ces concepts difficiles à maîtriser sous d'autres cieux. Nous les avons adoptés telle une lettre à la poste. Notre génie dépasse-t-il celui des géniteurs de ces concepts ? Dans la foulée, c'est toute la panoplie de concepts liés à cette approche par les compétences qui est questionnée par la perspicacité et l'œil infaillible des praticiens et des théoriciens de l'éducation. Nous citerons le contrat de performance, l'obligation de résultats, le projet d'établissement. Les pays géniteurs des ces concepts ont placé des balises et pris des précautions dont la plus importante : donner le temps au temps . Nos aînés nous ont appris cette sagesse pédagogique : en pédagogie « savoir perdre du temps, c'est savoir en gagner ». Est-ce le cas dans notre Ecole de la Réforme ?