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“Le compromis historique s'impose”
Entretien avec Saïd Sadi
Publié dans Liberté le 02 - 11 - 2002

"...il y a aujourd'hui de vraies lézardes qui se manifestent et qui rendent la morgue répressive du régime moins importante..."
Liberté : Pourquoi cette convention ?
• Saïd Sadi : Le RCD a toujours été une force de proposition politique, de défense d'un projet de société sur le plan partisan mais en même temps, nous avons toujours assumé notre fonction qui était celle d'une interface permanente avec la société civile. Et il nous est apparu dans les discussions du parti depuis maintenant une année qu'il y avait en Algérie une attente sur l'alternative d'après-guerre qu'il fallait offrir au pays. La convention devait se tenir en septembre, on s'est dit qu'il valait mieux attendre après l'élection pour que l'analyse, l'évaluation soit la plus large possible. Du point de vue de la faisabilité du regroupement de ce qu'on appelle le camp républicain, il nous semble que la maturité, l'opportunité est plus possible qu'il y a une dizaine d'années.
Pourquoi précisément maintenant ?
• En 1993, l'idée du MPR était sur le plan qualitatif une bonne réponse, il se trouve qu'à l'époque, le pouvoir dans ses composantes médiatiques, militaires, sécuritaires et politiques pensait qu'il pouvait contenir, éliminer et même réprimer ce type de proposition alternative. Sur le plan international, les forces démocratiques étaient des empêcheurs de se réconcilier en rond. Il se trouve que du point de vue de l'évolution de la fragilité du régime, il y a aujourd'hui de vraies lézardes qui se manifestent et qui rendent la morgue répressive du régime moins importante. Sur le plan international et notamment après le 11 septembre, on convient que l'alternative du Sud est la seule vraie réponse pour contenir et vaincre le fléau intégriste. Du point de vue de la mobilisation citoyenne, il a fallu passer tout ce temps-là pour que les gens comprennent et viennent s'impliquer d'une manière résolue et déterminée.
Donc, il y avait une attente, la réponse à opposer il fallait qu'elle mûrisse, après tout avant le 1er Novembre 54, il y a eu mai 45, l'histoire est faite d'essais, de tentatives qui, pour diverses raisons, ne deviennent opérationnelles qu'au moment où un certain nombre de facteurs convergent.
Et le RCD, que devient-il dans cette initiative ?
• Le RCD continuera à jouer son rôle organique, nous nous déploierons. Il faut des partis politiques forts, si on veut une démocratie forte. Nous allons dire ce que nous pensons. De notre point de vue, il y a un certain nombre de choses à dire et à faire, sur la crise de Kabylie notamment. Du point de vue de la symbolique, l'Etat ne peut pas continuer à gérer la situation comme il l'a fait jusqu'à présent, il faut demander pardon devant ce qui est un crime d'Etat. C'est une manière d'envoyer un signe fort de volonté politique. Il ne faut plus s'autoriser ce genre de délit et essayer aussi de rendre cette crise plus compréhensible dans les autres régions du pays. Il est important que ce mouvement se consolide un peu plus, parce que ce qui a fait sa force jusqu'à présent c'est qu'il a refusé de jouer le rôle qu'on a voulu lui faire jouer contre les partis politiques. Le mouvement a tenu pour une raison très simple : ses délégués se sont contentés de gérer ce qui est le plus fédérateur : l'exigence de justice, la liberté, et les diverses demandes citoyennes. Et si l'on entre dans les missions partisanes, un parti doit se prononcer sur tout et doit apporter des solutions à tout. Donc, il y a besoin d'un mouvement citoyen et il y a besoin d'un parti politique. Les deux choses ne sont pas antinomiques et il faut aider ce mouvement à sortir, à ne plus être réprimé, notamment l'exigence de la libération des détenus.
Est-ce que vous avez arrêté déjà une stratégie particulière ?
• Nous pensons qu'il y a matière à réviser la Constitution. Mais ce n'est pas une Constituante qui va résoudre nos problèmes, ni une révision dans le sens de plus grandes prérogatives pour le chef de l'Etat qui en a déjà plein. En revanche, dans la définition du corpus républicain, il y a des failles, des ambiguïtés, des interprétations qui sont aussi à l'origine de cet activisme islamiste qui menace lui-même la République. Il faut arriver à faire une révision constitutionnelle qui définisse, de la manière la plus claire, la plus rigoureuse, le minimum républicain en dehors duquel il n'est pas possible d'activer dans le cadre légal. Le moment est venu d'aller vers la société pour arriver à ce fameux compromis historique. Nous sommes bien dans une impasse politique, et on voit très bien que tous les replâtrages, toutes les bricoles, toutes les manœuvres policières ne règlent rien, pire, elles se manifestent par des désordres au sommet. Et cette solution ne peut pas être conjoncturelle, c'est une solution historique.
Le pouvoir ne va-t-il pas tenter de torpiller une telle démarche ?
• Le pouvoir mobilisera tous ses supplétifs, ses moyens et sa logistique, pour essayer de disqualifier les formations politiques. Mais il ne faut pas accepter de tomber dans le dévoiement populiste qui dit que les partis politiques, on n'en a pas besoin. Il n'y a pas de démocratie qui s'est construite sans partis politiques. Il faut qu'on appréhende la situation au niveau de la gravité qui est la sienne, il ne faut pas que les problèmes qui surgissent dans le pouvoir, les divergences qui s'expriment publiquement dans le pouvoir soient considérées comme la solution. Ce sont des événements qui peuvent faciliter l'alternative mais ils ne sont pas l'alternative et il faut que les partis politiques jouent leurs rôles et aient conscience que, dans les situations historiques complexes, la citoyenneté doit être sollicitée pour être consolidée.
Le rôle de l'armée ?
• Il y a quelque chose de dangereux dans la situation actuelle. Le fait que la classe politique, soit parce qu'elle est réprimée, soit parce qu'elle est inadaptée, n'arrive pas à jouer le rôle qui est le sien amène les institutions à un phénomène de surpolitisation quasiment occulte et c'est la pire des situations. Cela conduit à des institutions, minées par le politisme, à des réponses qui sont généralement soit décalées soit retardées. Mieux vaut tard que jamais ! On vient de me dire qu'il faut se réjouir du fait qu'on ait découvert que le terrorisme en Algérie a pour cause l'islamisme. ça fait 10 ans qu'on le dit. Il n'appartient pas à l'armée de découvrir ce genre d'analyses et d'apporter des solutions. L'armée algérienne a eu un rôle qui était le sien, pour des raisons historiques, mais il est de son intérêt le plus vital et des intérêts supérieurs de la nation algérienne d'organiser le plus rapidement possible, de manière concertée mais claire, son retrait de la vie politique. Si l'armée algérienne veut garder sa stabilité et sa crédibilité, elle doit comprendre qu'elle ne peut plus, qu'elle ne doit plus, jouer le rôle qu'elle a joué jusqu'à présent. La classe politique sera autonome ou ne sera pas, l'armée algérienne n'a pas à rester dans l'ombre pour essayer de suggérer, de solliciter ou d'orienter des acteurs politiques. Il faut absolument qu'il y ait une évolution décisive. Dans l'idée de ce compromis historique, c'est cela. C'est l'une des missions du RCD, qui n'est pas issu de la culture du parti unique, de lancer l'idée d'une reconfiguration politique. Ce qui s'impose à la classe politique s'impose à l'armée algérienne. Il faut une autre armée pour l'Algérie.
A. C. / N. S.


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