Le passage de Khalida Toumi au forum de l'ENTV a ressemblé à celui de Belkhadem la semaine précédente : il a été à sens unique et plein de suffisance. A l'entendre, la culture en Algérie connaît une évolution tout à fait raisonnable et de surcroît se trouve entre de bonnes mains, avec à la clé une perspective de développement prometteuse puisque l'Algérie est programmée pour devenir un “pôle culturel lumineux” dans les années à venir. Faut-il en vouloir à un ministre de venir s'épancher en toute quiétude sur des réalisations réelles ou supposées, mais qui restent difficilement vérifiables, et présenter le département dont il a la charge comme un modèle du genre, alors que souvent l'image qui est décrite est loin de correspondre à la réalité ? Bien sûr que non... et Khalida Toumi n'a rien inventé en venant, devant des téléspectateurs passifs et un parterre de journalistes visiblement mal à l'aise, positiver à l'extrême son action, même si parfois elle en a rajouté pour mieux faire passer le message. La ministre que le président Bouteflika n'aurait, selon toute vraisemblance, pas ménagée quand il l'avait reçue lors de ses audiences ministérielles pendant le mois de Ramadhan pour, dit-on, manque de cohérence (ou d'efficacité) dans le dispositif de préparation de la manifestation qui permettra à notre capitale d'accueillir en 2007 la culture arabe avait toutes les raisons de vouloir prouver à l'opinion publique qu'elle était loin d'être une quantité négligeable dans l'équipe gouvernementale actuelle. C'est probablement fort de cet état d'esprit qu'elle s'avisera, face à une animatrice voulant pourtant à tout prix éviter le piège de la langue de bois, de s'étendre sur une activité culturelle multiforme, à ses yeux en pleine expansion. Sauf que pendant les deux heures du débat qui a tourné en sa faveur, alors qu'il devait être en principe un véritable calvaire médiatique pour elle, elle n'a pas réussi à convaincre grand monde. Ce qui a manqué le plus, encore une fois, à ce genre d'émission qu'on présente comme un espace didactique pour amener les Algériens à mieux comprendre leur quotidien, c'est le parler vrai pour ne pas travestir des situations qui vous interpellent à tout moment. La culture, comme l'éducation, est sinistrée dans notre pays, tous les Algériens le savent et il ne sert à rien d'employer le langage diplomatique pour essayer de dire le contraire, avec cette intention de plus en plus exaspérante de vouloir plaire d'abord en haut lieu. Y a-t-il encore un cinéma performant en Algérie ? Les mieux placés pour répondre à cette question, ce sont les gens du milieu cinématographique eux-mêmes et, croyez-nous, leurs sentiments sont aux antipodes de l'approche idyllique qui est faite du septième art par les politiques. L'argent, l'infrastructure, la distribution, la formation... tous les aspects propres à la création d'une industrie du cinéma ont été évoqués par le passé par les professionnels, une multitude de fois, mais il n'y a jamais eu de retour d'écoute. Le répéter sur un ton péremptoire et pédagogique sur le petit écran comme si on venait de découvrir la lune ne va pas faire avancer les choses. Y a-t-il encore un théâtre performant ? Là aussi, le tableau reste peu reluisant. En fait, le constat parle de lui-même, des pans entiers parmi les secteurs les plus sensibles de l'activité culturelle ne font que vivoter faute de connaître un rayonnement à la hauteur des potentialités et talents existants. La télévision elle-même n'arrive pas à sortir de ce marasme culturel qui semble freiner les énergies les plus entreprenantes. Pourquoi n'avons-nous pas une grande télévision nationale aujourd'hui ? Une télé par le biais de laquelle nous arriverons à régler nos problèmes sans que cela devienne source de conflit. Cette interrogation à elle seule résume toute l'acuité du projet culturel auquel on aspire mais qui n'est pas encore dans les cordes de Khalida Toumi. Nous ne le dirons jamais assez, quitte à passer pour des empêcheurs de tourner en rond, c'est par la maîtrise d'une communication en totale liberté de ton que se gagnent les grandes batailles. Pourquoi donc l'Algérie ne ferait pas comme Qatar en envisageant le lancement d'une puissante chaîne d'information “régionale” pour marquer sa présence au Maghreb et en Afrique ? Un défi insurmontable ? Non, si on réfléchit sérieusement à une politique de communication offensive qui servira à défendre nos intérêts et qui exigera une concentration rationnelle de nos moyens humains et matériels. Oui, si on reste constamment sur la défensive, privilégiant le discours suranné au détriment d'une expression réaliste, seule capable de lever les tabous. Le monde change, la télé porteuse de l'espoir culturel n'a donc pas le droit de rester à la traîne... n'est-ce pas madame la ministre ?