On dit, il est vrai, que la liberté de parler ou d'écrire peut nous être ôtée par une puissance supérieure, et non pas la liberté de penser. Mais penserions-nous beaucoup, et penserions-nous bien, si nous ne pensions pas pour ainsi dire en commun avec d'autres, qui nous font part de leurs pensées et auxquelles nous communiquons les nôtres ? Aussi bien, l'on peut dire que cette puissance extérieure qui enlève aux hommes la liberté de communiquer publiquement leurs pensées leur ôte également leur liberté de penser - l'unique trésor qui nous reste encore en dépit de toutes les charges civiles et qui peut seul apporter un remède à tous les maux qui s'attachent à cette condition. » Tout l'esprit qui gouverne Les Débats d'El Watan se trouve pour ainsi dire condensé dans cet énoncé du philosophe Emmanuel Kant. Les Débats d'El Watan est une tribune qui entend donner à la raison critique un droit de cité ; elle n'est ni une tribune syndicale ni une rampe de lancement politique. Conférences publiques faites par des intellectuels à destination du public, le forum entend occuper un autre champ, celui de la raison critique, de la raison communicationnelle. Il s'agit là, pensons-nous, d'un préalable épistémique indispensable pour comprendre notre condition historique avant d'espérer agir sur elle. Sous cette perspective, sur cette ligne de faîte, rien ni personne ne saurait résister au filtre de la raison critique : ni l'histoire, ni la politique, ni l'idéologie, pas même la religion. En termes de méthode, le projet voudrait s'employer à identifier les problèmes, à les formuler de façon, s'il se peut, influente, en les appuyant par des contributions pénétrantes, réflexives. C'est cet esprit qui a guidé les deux premières éditions : celle du 2 mars dernier, consacrée au passé colonial de l'Algérie ; celle de ce jeudi 13 avril, consacrée à la crise de l'Université algérienne. En tant que choix intellectuel, la raison critique suppose une prise de risque qui se paie par une rupture épistémique avec la théorie du complot, la victimisation, l'infantillisation, l'idéologisation de la pensée, le bricolage intellectuel. Par-delà élitisme et anti-intellectualisme, Les Débats d'El Watan voudrait servir de passerelle entre intellectuels et public. Ni objecteurs de conscience, ni donneurs de leçons, ni tribuns, mais de simples médiateurs entre intellectuels et citoyens, attachés les uns aussi bien que les autres à l'éthique de la discussion. Une éthique sans laquelle il ne saurait y avoir ni d'espace public ni d'apprentissage de la démocratie.