Rencontré en marge de la 2e édition du Festival international de la littérature et du livre de jeunesse, l'agent littéraire (entre autres d'Amin Zaoui et de Hamid Skif), Pierre Astier, a évoqué le boom de la littérature africaine en France, l'engouement en Europe pour l'écriture africaine et son métier d'agent littéraire. Liberté : Après avoir fondé et dirigé pendant 15 ans la maison d'édition Le Serpent à Plumes, vous êtes, depuis 2004, agent littéraire et gérant de l'agence Pierre Astier & Associés. Est-ce qu'un agent littéraire travaille comme un éditeur (sur le texte) et repère des talents ? Pierre Astier : Oui, je dirai même que c'est la base du métier. Quand j'ai parlé dans la conférence du boom sud-américain et indien dans les années 1970/80, il y a quand même eu, à un moment, des agents littéraires qui ont repéré des gens doués et les ont accompagnés dans leurs créations. C'est-à-dire que Gabriel Garcia Marquez n'a pas été prix Nobel du jour au lendemain. Il y a tout un processus. Il y a eu au départ des gens qui l'ont repéré et l'ont accompagné. Pareil pour pleins d'autres écrivains… La base de ce métier c'est d'être à la source. Actuellement, la littérature africaine connaît un “boom” en Europe. Comment expliquer cet intérêt. Est-ce parce qu'elle représente un nouveau souffle et porte un regard autre ? Je pense que nous sommes, encore un peu, dans une époque où on nous a parlé du choc des civilisations, d'incompréhension entre les peuples ; il y a une exacerbation des uns par rapport aux autres. D'abord, moi, je ne crois pas à l'écrivain qui est dans sa chambre et qui écrit sur le monde, tout seul, enfermé. Je crois à l'écrivain dans le monde, dans la cité et dans le débat. Je crois à l'écrivain qui s'imprègne de tout. Je crois que les gens intelligents — et le monde n'en manque pas heureusement — ont réagi à cela. Il y a de nouvelles voix qui sont nées en Afrique. Aujourd'hui, ça se rencontre. Il y a une rencontre entre des créateurs qui ont leur histoire et qui reproduisent tout ce qu'ils en ont eux, tout ce qu'ils ont vécu… etc. ; et de l'autre côté, il y a une curiosité, une attente. On a dépassé la période coloniale et on est entré dans une autre ère. Et puis, il y a eu de l'autre côté, du côté des anciennes puissances, une envie de comprendre ce qui s'est passé et puis d'entendre ces nouvelles voix qui sont nées en Afrique. On parle aussi de formatage de littérature africaine. Une sorte de standardisation de cette écriture là… On dirait que c'est le même livre qui s'écrit. Qu'en pensez-vous ? Vous trouvez qu'entre Assia Djebar, Rachid Boudjedra et Amin Zaoui, c'est le même livre ? Il y a, en tout cas, une violence qui est le dénominateur commun entre les trois… Dans ce sens-là, oui. Mais ce n'est pas la même écriture. On peut dire que ce sont des thématiques universelles mais je ne suis pas tout à fait d'accord sur ce qu'on appelle formatage. Je trouve que les jeunes générations d'écrivains d'Afrique sont dans des thématiques tout à fait nouvelles, avec le roman historique par exemple. Quand Alain Mabanckou, l'écrivain congolais qui vit à Paris, écrit Black Bazar, qui est un roman qui se passe à Paris, dans le 18e, il n'y a pas beaucoup d'auteurs africains qui le font. En fait, il y a une variété. Cette variété est-elle sous différentes formes ? Oui, bien sûr. C'est très différent. L'écriture de Waberi, l'écrivain djiboutien, est toujours à fleur de la poésie, ce n'est pas de la prose poétique, mais du roman car il y a une narration, des personnages, des dialogues, etc. Chez Amin Zaoui, on sent la poésie arabe souterraine sous son écriture en français, il y a une manière d'écrire qui ne ressemble pas à celle de Rachid Boudjedra par exemple, ça n'a rien à voir. Boudjedra est plus percutant, il n'y a pas ces arabesques qu'il y a dans la manière d'écrire d'Amin Zaoui. Moi, je ne vois pas de formatage. Même dans la littérature américaine, tout le monde critique et tout le monde dit qu'elle est formatée ; que les ateliers d'écriture formatent la littérature américaine. Mais quand on regarde ce qui est publié : c'est varié, riche et diversifié. Le formatage chez Marc Lévy, oui, chez des gens qui écrivent sur des modèles, notamment le roman sentimental qu'on trouve dans toutes les littératures, il n'est pas non plus à mépriser ou à rebuter, il est très formaté, mais c'est une forme. Vous étiez éditeur. Comment vous êtes devenu agent littéraire ? Pour une raison simple, c'est que le Serpent à Plumes est une maison que j'avais fondée et dirigée mais qui, à un moment donné, a eu des partenaires financiers. Et au bout de 15 ans, ces partenaires financiers ont décidé de vendre cette maison. L'acquéreur a racheté cette maison avec moi dedans. Mais pas mes collaborateurs. Il y a eu un mouvement d'opposition et je suis resté solidaire de ces collaborateurs ; les auteurs également. C'était solidaire, regroupé, de beaux moments de solidarité et tout le monde a été viré, et moi avec. C'était une expérience assez forte le Serpent à Plumes, je ne me voyais pas refonder une autre maison d'édition, ni travailler dans une maison d'édition parisienne, j'ai essayé d'imaginer autre chose qui serait quand même un peu dans la même ligne, et puis agent littéraire, il y en a très peu… Il n'y en a pas. Essayons ! Tout le monde m'a dit : “C'est de la folie, ça ne marchera pas !” On est toujours là cinq ans après et ça marche plutôt bien. Pouvez-vous nous citer certains auteurs algériens et africains que vous avez dans l'agence ? Hamid Skif, Amin Zaoui, certains livres de Yasmina Khadra (pas tout, 4 ou 5), Waberi, etc.