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«Les prix sont libres et l'Etat ne peut pas intervenir» Abdelaziz Aït Abderrahmane. Directeur de la régulation et de l'organisation au ministère du Commerce
Dans cet entretien, M. Aït Abderrahmane défend la position du ministère du Commerce face à l'augmentation des prix et explique les limites de sa marge de manœuvre. -Comment expliquez-vous cette fluctuation des prix qui touche tous les postes de consommation (alimentaires, cosmétiques, etc.) dont l'augmentation atteint parfois des seuils incompréhensibles ? Le suivi des prix, de manière générale, n'obéit plus aux mêmes règles d'il y a 25 ans, quant on était dans une économie dirigée où l'administration fixait les prix de tous les articles qui se vendaient sur le marché. A l'époque, on pouvait suivre tous les produits à travers le prix d'achat, les marges, etc. Nous ne sommes plus dans cette configuration puisque nous sommes dans une économie de marché ; les données ont complètement changé. L'Etat continue cependant à observer les prix des produits de première nécessité et de large consommation. Pour le reste, ce sont des produits à tarification libre, dont on ne connaît les prix que lorsqu'on demande au commerçant de nous fournir la facture d'achat pour voir quelle est sa marge et le prix qu'il pratique. De toute façon, nous n'avons aucun moyen de dire à un commerçant en produits cosmétiques qu'il doit prendre une marge de 10, 20 ou 30%. C'est le marché qui fixe les prix. En ce qui concerne les produits de large consommation, nous avons une gamme très limitée pour lesquels l'Etat fixe les prix (lait en sachet, pain, semoule, farine panifiable, sucre, huile) que nous suivons et contrôlons régulièrement. D'autres produits de large consommation sont cependant soumis à un régime de prix libres (pâtes alimentaires, légumes secs, café, thé), mais nous les suivons quand même de près. -La liberté des prix signifie-t-elle que l'Etat n'a aucun moyen d'éviter les dérapages dont le citoyen est la première victime ? Toute la question est là. Dans une économie libérale, les prix se forment dans le marché ; ils sont fixés par la loi de l'offre et de la demande. Partant de ce principe, nous ne pouvons pas dire, en tant qu'Etat, que le prix de tel ou tel produit a flambé et donc il faut agir. Il ne faut pas qu'il y ait une contradiction de ce genre. Je vous le dis : les prix sont libres, l'Etat ne peut pas intervenir. Mais on fait très attention quand il s'agit de produits de première nécessité, par exemple les légumes secs. On s'est inquiété quand leur prix a commencé à grimper. Il y a un ou deux ans, ils étaient abordables, mais depuis quelque temps, ils ont augmenté parce que, malheureusement, on ne les produit pas chez nous ; nous sommes dépendants des prix à l'international. Dès que les cours montent, nous sentons inévitablement la répercussion chez nous. Donc l'une des mesures prises a été de demander à l'OIAC de reprendre la vente des légumes secs qu'elle avait abandonnée depuis une dizaine d'années du fait que le créneau est passé au régime des prix libres. Mais comme nous savons qu'il s'agit de produits de base et de substitution aux légumes, notamment en hiver, nous avons fait cette demande à l'OIAC. Peut-être que cela ne se voit pas trop en ce moment, mais c'est en train de se faire, bien que le privé continue d'importer à des prix élevés. L'Etat a cet outil de régulation qu'est l'OIAC, nous le mettons à contribution et nous envisageons de lui demander de multiplier encore les quantités pour que le citoyen ait au moins le choix de trouver des prix abordables. -Pourtant, après les événements de janvier 2011, l'Etat est intervenu pour plafonner les prix du sucre et l'huile. Donc il n'est pas aussi impuissant que cela... Jusqu'à présent, on n'a pas connu de flambée telle pour que l'Etat décide d'un plafonnement des prix des produits. Pour le sucre et l'huile, ce sont les répercussions des cours mondiaux qui ont augmenté de façon vertigineuse. Cela s'est répercuté localement par cette inflation. Par exemple, depuis 2011, le prix du soja, qui est la base de la fabrication d'huile, n'a pas connu de baisse. Mais jusqu'à présent, nous n'avons pas encore subventionné le sucre ou l'huile parce que leurs prix (plafonnés à 90 et 600 DA respectivement) n'ont pas été dépassés. C'est-à-dire lorsque les producteurs importent les matières premières, l'Etat les subventionne, mais pas les produits finis. Dès que la matière première augmente à l'international et est susceptible d'induire au niveau local une hausse des prix qui dépasserait les prix plafonnés, le différentiel est remboursé par l'Etat aux opérateurs économiques. C'est une procédure qui a été mise en branle et, pour le moment, elle fonctionne normalement. Je pense que pour ces deux produits, les prix sont à 95% respectés. -Certaines voix appellent à la suppression des subventions sous prétexte qu'elles grèvent le budget de l'Etat et ne profitent pas qu'aux pauvres. Une telle option est-elle envisageable ? On en parle déjà, mais ce n'est pas du jour au lendemain qu'on peut prendre une telle décision et opter pour un autre mode de soutien des prix au consommateur. C'est un débat qui nécessitera l'avis de toutes les catégories sociales et des associations professionnelles et de consommateurs, les élus... C'est un débat général qu'il faudrait ouvrir pour avoir un consensus général. A partir de là, si on doit opter pour un mode de soutien autre que celui en vigueur actuellement, ce sont des choses qui seront faisables. Cela se fait dans certains pays : des indemnités sont accordées aux plus bas salaires, par exemple, pour permettre aux pères de famille d'acheter les produits à prix coûtant. Une fois que l'Etat se désengage du soutien, que ce soit à la source ou au niveau du plafonnement des prix, nous allons nous retrouver avec des tarifications pratiquement libres, fixées par l'offre et la demande. A partir de là, des fluctuations de temps à autre peuvent être très importantes et ce n'est pas toujours facile de fixer cette indemnité pour les salariés. C'est assez complexe comme moyen de soutien il nécessiterait une profonde réflexion. Effectivement, le système actuel profite autant aux couches les plus aisées qu'aux plus démunies et ce n'est pas juste qu'un riche puisse acheter du lait à 25 DA au même titre que celui qui n'en a pas les moyens. Ce n'est pas une option à écarter, tout dépendra des débats, s'il y en a. L'idée commence à faire son chemin, notamment avec les économistes qui disent que ce n'est pas toujours le meilleur moyen pour avoir la paix sociale. -Le consommateur se plaint souvent des hausses des prix. Pensez-vous qu'il soit conscient de la réalité du marché et des aléas qui le commandent ? La population de manière générale n'admet pas que les prix soient libres. En 1988, quand il y a eu les événements d'Octobre, à l'époque c'était l'économie dirigée avec ses inconvénients ; c'était l'ère des quotas. La crise de 1986 s'est étalée jusqu'en 1988 et le tout a fait que l'insuffisance de l'approvisionnement du marché a conduit à ces événements. Tout le monde disait, à l'époque, qu'il fallait en terminer avec ce régime socialiste d'économie dirigée, parce que pendant ces années, pour acheter n'importe quoi il fallait faire la queue, sans compter les produits rares qui étaient vendus sous la table. Les Algériens ont souffert. Nous sommes passés d'une situation où il y avait une disponibilité tout juste suffisante pour les besoins de la population à, progressivement, une économie de marché à partir de 1990. En 1991-92, on est passé à la vérité des prix et à la véritable valeur du dinar par rapport aux devises, et les augmentations ont atteint jusqu'à 500 et 600%. Pour certains produits, c'était même 1000% ! Le citoyen qui a vécu cette période-là et qui se plaint qu'il n'y ait pas de contrôle des prix doit savoir qu'on ne contrôle que les prix des produits réglementés par l'Etat parce qu'ils sont fixés. On ne peut pas contrôler les prix des produits libres. Il y a deux choses à dire. D'abord, le consommateur algérien ne se plaint pas auprès des associations de consommateurs, ne s'organise pas pour contribuer à mettre un terme à certains phénomènes spéculatifs. Il y a une trentaine d'associations de consommateurs, c'est très peu, et le nombre des requêtes qu'elles reçoivent des consommateurs est insignifiant. Il faudrait s'organiser autour de ces associations, en créer d'autres. Ensuite, il y a les règles économiques que les citoyens ne comprennent pas forcément, comme de dire que l'inflation peut être induite par l'augmentation des salaires qui n'a pas de contrepartie en production. La seule façon de faire chuter les prix dans tous les pays, c'est de produire à outrance jusqu'à atteindre un niveau de production qui fait chuter les prix d'eux-mêmes. On se demande pourquoi les prix des légumes secs augmentent ; eh bien, c'est parce que nous n'en produisons pas. Nous les importons et nous subissons les soubresauts des flambées des prix à l'international. Quant on augmente des salaires sans production, cela devient des charges pour l'employeur qui, pour trouver l'équilibre, augmente les prix. L'économie, c'est un tout. -Vous avez parlé de la vérité des prix qui prévalait au début des années 1990 ; comment qualifiez-vous la situation aujourd'hui ? Quand j'ai dit «vérité des prix» c'est par rapport à la valeur du dinar qui était, à l'époque, administrée. Dans les années 1980, un dinar était plus cher qu'un franc ; quand on est revenus à la vérité des prix, c'était 15 DA pour un franc. Parce que de l'autre côté, il y a une économie très bien structurée et une épargne en devises importante et, chez nous, c'est une monnaie non convertible. La vérité des prix, est en cours actuellement, mais elle est étroitement liée à l'offre et à la demande ainsi qu'à la valeur des marchandises qui sont mises en vente.