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Scénarii d'évolution possibles de l'économie algérienne
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Publié dans El Watan le 25 - 02 - 2013

Ce condensé de texte est le fruit d'un travail laborieux d'analyse et de simulations complexes. Les paramètres considérés sont ceux utilisés dans les analyses de prospective : taux de création d'entreprises, démographie, évolution des ratios de productivité, recherche et développement, benchmarking des principaux indicateurs de compétitivité micro et macroéconomiques et autres. Le processus est dynamique. Il ne s'agit pas de prendre une année, mais plutôt plusieurs pour avoir une appréciation plus équilibrée. Dans un ouvrage écrit quinze ans auparavant, nous avons prévu exactement ce qui se passe aujourd'hui. Nous avions appelé ce scénario Relance d'une économie non assainie. Il s'agit d'injecter beaucoup d'argent dans une économie où les ressources humaines, les entreprises et les administrations ne sont pas encore qualifiées pour les utiliser efficacement. Toutes les conséquences qui s'ensuivent furent décrites (Voir A. Lamiri : Crise de l'économie algérienne).
Mais si l'on devait de nos jours développer des scénarii pour les quinze à vingt ans à venir, quelles seraient les évolutions probables ? Ces dernières seraient fonction des prochaines décisions économiques et de la situation internationale, notamment le marché mondial de l'énergie. Nous entrevoyons trois scénarii possibles que nous appellerons : «émergence», «normalité» et «déchéance». Nous allons résumer succinctement les trois dynamiques d'évolution possibles, tout en reprécisant que ce sont des simplifications de méthodologie fort complexes (équations économétriques), tout en commençant par le scénario le moins plaisant, celui que l'on souhaiterait éviter.
Scénario de la déchéance
Nous serions dans ce cas de figure si deux situations conjointes venaient à se superposer dans les dix ou vingt prochaines années : un marché mondial de l'énergie déprimé combiné à des politiques économiques présentes qui gèrent les urgences, négligent les facteurs-clés de succès et continuent à injecter des ressources dans une économie mal préparée pour les gérer efficacement. Sur le plan international, si le rapport de l'Agence internationale de l'énergie venait à se matérialiser, nous courons un risque important de voir des prix de l'énergie déprimés. Certain centres d'analyse prévoient des prix de 60 dollars le baril dans 10 ans. Nous avons également une contrainte de quantités. Nous devons laisser dans le sous-sol l'équivalent de trente à quarante années de consommation interne ; cette dernière enregistre une croissance à deux chiffres. Si nous ne diversifions pas rapidement nos sources d'énergie (renouvelable, schiste peu polluant, etc.) les quantités exportées risquent d'être drastiquement amputées.
Nous serons alors près de 50 millions d'habitants. Mais la situation internationale ne peut pas provoquer à elle seule toutes les complications envisagées. Pour que la menace soit effective, il faudrait la conjonction d'un marché international de l'énergie déprimé avec une réalité nationale défavorable. Nous pouvons citer, entre autres : les ressources humaines sous-qualifiées ; les entreprises et les institutions publiques sous-gérées ; l'acte d'importer plus motivant que celui de produire ; le climat des affaires défavorable ; la liberté d'entreprendre limitée et l'organisation de l'Etat peu compatible avec le développement.
Les priorités des politiques économiques demeurent de gérer le court terme, sans vision, sans stratégie et sans mobilisation de l'intelligence de tous. Les conséquences seront très sévères pour nos citoyens. Les ressources pour financer le développement et les programmes sociaux seront insuffisantes. Les réserves et le Fonds de régulation seront vite utilisés.Le chômage devient endémique et pourrait même atteindre 30 à 40%. L'inflation à deux chiffres sera de retour. L'endettement extérieur sera de plus en plus lourd, avec des capacités moindres à mobiliser les crédits. Les déficits se creuseraient dans tous les domaines : logement, lits d'hôpitaux, sièges de transport, éducation, etc. Le pays sera aspiré par la spirale du sous-développement. Il y a fort à craindre que de graves remous sociaux secouent le pays, la population n'étant pas préparée du tout à ce genre de situation.
Scénario de la normalité
La seule différence avec le scénario précédent réside dans la situation du secteur de l'énergie de notre pays. Il est possible que l'évolution de la demande mondiale absorbe toute croissance de l'offre. Par ailleurs, au niveau national, de nouvelles découvertes et l'exploitation de nouvelles sources (énergies renouvelables, schiste non polluant, etc.) permettraient de combler la diminution des sources traditionnelles. On pourrait se retrouver avec des ressources extérieures suffisantes pour financer un budget normal, plus une relance raisonnable (10% du PIB).
Nous serions alors une économie qui fonctionnerait avec une croissance comparable à la moyenne mondiale. L'ensemble des déséquilibres (emploi, logement, lits d'hôpitaux etc.) seraient stabilisés, mais à des niveaux insatisfaisants. Le pays ne se développe pas ; il va survivre et suivre de loin les évolutions des différents pays qui prennent de plus en plus d'avance sur nous. Nous ferions partie des pays qui fonctionnent moyennement, au jour le jour, sans illusion de développement mais sans danger de péricliter.
Nous sommes dans ce scénario depuis 1998 déjà. Nous aurons au moins l'avantage d'être en droite ligne avec les modes de fonctionnement passés. Les entreprises et les institutions demeureront fondamentalement sous-gérées ; les politiques sectorielles peu appropriées et l'organisation de l'Etat défaillant.
Scénario de l'émergence
Ce cas de figure a peu de lien avec la situation internationale du marché de l'énergie. Il dépend surtout des décisions internes. Nous avons à peine quelques années pour le réaliser. Les décideurs changent radicalement d'outils et de méthodes. Un nouveau plan est décrété, ciblant les facteurs-clés de succès. Les conditions d'émergence sont créés : l'«institution cerveau » est érigée, une nouvelle vision est créée et diffusée.
Le peuple est mobilisé autour d'objectifs qui lui donnent fierté et motivation de travailler : Algérie, pays émergent en 2025 et développé en 2040. La stratégie de développement voit le jour avec la participation de la majorité des Algériens. Nous n'avons pas besoin de refaire le même cheminement que celui des pays développés. Nous pouvons passer rapidement aux activités du futur : nanotechnologies, industries vertes, énergies renouvelables, etc. Les processus de rattrapage sont rapides de nos jours. Les futures ressources sont affectées prioritairement aux axes suivants :
1. Développement qualitatif humain : en plus de moderniser le système éducatif, on recycle toutes les personnes opérationnelles. Il faut toute une ingénierie pédagogique pour que les universités et les centres de formation professionnelle se mettent au niveau mondial afin de jouer pleinement leur rôle. On doit les jumeler avec les meilleures institutions mondiales et adopter leurs normes comme références. Les recyclages donnent des résultats rapides et la modernisation du système éducatif prépare les futures générations à se positionner parmi les meilleures.
2. Modernisation managériale des entreprises et de toutes les institutions nationales (universités, hôpitaux, administration, entreprises...). L'usage des TIC sera d'un grand secours, mais c'est surtout le passage à un management moderne qui sera prioritaire. L'Etat lui-même sera organisé et géré selon les typologies de pays qui réussissent. On pourrait faire alors un saut qualitatif dans tous les domaines : figurer parmi les 20 premiers pays dans 10 ans pour ce qui concerne le climat des affaires, se situer également parmi les meilleurs dans l'utilisation des TIC, etc.
3. Orientation des ressources vers la création et le développement des entreprises privées et publiques qui réussissent. On cesse de financer les canards boiteux. On libère les initiatives. On passe de 640 000 à 1 200 000 entreprises en dix ans. La création de pépinières et d'incubateurs se généralise. On finance le développement des entreprises productives au lieu de l'importation.
4. Financement raisonnable d'infrastructures (15 à 20% des ressources leur seront affectées). Bien qu'importantes, les infrastructures le sont moins que les cerveaux humains. Aucun pays ne s'est jamais développé avec des ressources humaines sous-qualifiées. Pourtant, c'est ce que nous sommes en train de faire. Les priorités vont changer.
Beaucoup de détails techniques restent à concevoir. Mais rien n'est au-delà des possibilités d'un pays qui a développé et libéré les initiatives de ses citoyens. Nous aurions une croissance à deux chiffres, un taux de chômage de moins de 3%. Les problèmes économiques et sociaux (logement, soins, écoles, transports) seront en voie de règlement. L'occupation de l'espace sera tout autre (nouvelles villes, reconstruction des habitats vulnérables aux séismes, etc.). Le peuple sera fier de participer à une telle œuvre. Au lieu de vivre au jour le jour dans un système économico-politique qui fait du sur-place, il sera en train de construire un pays qui deviendrait un «dragon africain» envié et enfin respecté.
Tels seront les tout prochains choix que nous devons faire : déchéance, normalité ou émergence. Il est tout à fait réconfortant de savoir que nous restons maîtres de notre destinée. Il nous reste encore un peu de ressources et de temps, mais pas beaucoup, pour configurer, pour une longue période, la trajectoire historique de notre pays. Nous avons raté beaucoup de rendez-vous, mais nous avions toujours des ressources pour financer nos échecs passés.
Nous n'avons plus le droit à l'erreur. Nous avons devant nous ce que j'ai maintes fois appelé «la décennie de la dernière chance» avant une probable déchéance. Les mots-clés de la réussite s'appellent : développement humain, modernisation managériale, économie productive, libération des initiatives.


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