Si la justice doit prendre son temps pour enquêter, instruire les affaires suite aux scandales de corruption qui minent le pays depuis 10 années, politiquement, les responsabilités sont claires et bien définies pour peu qu'elles soient assumées. L'ex-ministre de l'Energie et des Mines, Chakib Khelil, se gaussait de son monde lorsqu'il était encore en poste. Enervé par une question d'un journaliste, il avait répondu que ni lui ni «le clan présidentiel ne se sentaient visés par les enquêtes» de la brigade du Département de renseignement et de sécurité (DRS). Il pensait bien avoir des protections. Il a été nommé en décembre 1999 par le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, et n'avait quitté le gouvernement qu'en mai 2010. Il a passé donc neuf ans au ministère de l'Energie en cumulant au passage le poste de PDG de Sonatrach. Ce n'est un secret pour personne : Chakib Khelil était, aux côtés de Abdelatif Benachenhou, Abdelhamid Temmar et Noureddine Yazid Zerhouni, un homme-clé du système Bouteflika. Il était en fait un super-ministre avec des pouvoirs de pharaon. Le pot-au-roses aurait pu être découvert avec l'affaire de la société d'engineering BRC étouffée dans l'œuf en 2006. Chakib Khelil, il faut bien l'admettre, était l'homme du Président qui l'a ramené dans ses bagages. Et n'était la justice italienne qui a pris en charge le dossier Saipem, il aurait encore continué à bénéficier, lui et les hommes de son réseau, d'une omerta qui ne disait pas son nom dans l'affaire Sonatrach. Les avocats des cadres du groupe jetés en prison n'arrêtaient pas de demander l'audition du ministre sans pouvoir y arriver. Le silence a été imposé comme une chape de plomb pour que le dossier n'avance pas avant que les juges de Milan ne le fassent voler en éclats. Le président de la République a fini par réagir en disant «ne pouvoir passer sous silence les scandales récemment révélés par la presse qui touchent la gestion de Sonatrach». Mais ne fallait-il pas prévenir ? Malheureusement, le scandale qui a éclaboussé la mamelle nourricière de l'Algérie – parce que Bouteflika et ses gouvernements successifs, auxquels d'ailleurs les Khelil et Temmar ont survécu, ont été incapables de construire une économie en dehors de la rente pétrolière – n'est pas le seul. Depuis 2003, le pays vit au rythme des affaires de corruption. L'affaire Khalifa n'est pas encore close qu'un autre gros scandale éclate en 2007, celui de l'autoroute Est-Ouest, sans oublier l'affaire «Achour» de la BNA et les détournements qui ont touché la Générale des concessions agricoles, affaire dans laquelle des responsables politiques sont cités, et ce, du temps de l'ancien ministre de l'Agriculture, Saïd Barkat, qu'on dit très proche du président Bouteflika. La corruption qui éclabousse donc aujourd'hui Sonatrach est loin d'être un acte isolé. Cela s'apparente à un véritable système savamment mis en place pour se remplir les poches et les comptes à l'étranger. C'est curieux tout de même que le Parlement, censé être une espèce de veille et de contrôle de l'Exécutif, soit resté amorphe devant un tel désastre. Il y a eu même des propositions de création de commissions d'enquêtes parlementaires sur le phénomène de la corruption qui avaient essuyé le refus du bureau de l'Assemblée populaire nationale (APN). Il faut dire que les responsabilités politiques dans la gestion des affaires du pays sont bien établies. Sauf si ceux qui sont censés les assumer refusent de reconnaître les limites de leur gestion.