La décapitation judiciaire du top management de Sonatrach après des enquêtes du DRS au début de l'année 2010 a suscité de nombreuses spéculations en Algérie sur ses motivations et ses objectifs. Un câble de l'ambassadeur David D. Pearce daté du 8 février 2010 s'en fait l'écho en soulignant que l'affaire Sonatrach est une dernière «spectaculaire» d'une série d'enquêtes et de poursuites judicaires impliquant des membres du gouvernement et des entreprises publiques. L'ambassadeur note qu'il est «significatif» que les ministères concernés soient considérés comme «proches» du président Bouteflika, dont le ministre de l'Energie Chakib Khelil. «Les spéculations vont bon train sur des conflits internes» pour une bataille de «leadership» entre civils et militaires mais, précise le câble, «nous ne disposons pas de preuves solides» et «le silence persistant de Bouteflika ne fait que renforcer l'incertitude». Après des informations factuelles sur les arrestations des dirigeants de Sonatrach et des deux fils du PDG Mohamed Meziane, les accusations de malversations et d'irrégularités dans l'attribution de contrats, le rapport de l'ambassadeur souligne que Chakib Khelil semble avoir été pris au dépourvu par l'affaire. Il cite à cet effet l'étrange déclaration de Chakib Khelil, le 17 janvier, dans laquelle il affirme ne connaître que ce que la presse a publié. Le câble qui fait la chronologie des faits connus note que Sonatrach a finalement renoncé à assurer la défense des cadres concernés car l'entreprise a été victime de la fraude dont ils sont soupçonnés. L'énumération des faits qui se base sur les récits de la presse algérienne n'apporte aucune nouveauté. Les cadres de Sonatrach «paralysés par la peur» L'ambassadeur a néanmoins rencontré le 27 janvier une source dont l'identité a été biffée par le journal El Pais qui a mis en ligne le câble. Cette source estime que Meziane est le seul à pouvoir autoriser lesdits contrats. La source, anonyme, affirme que quelque 1600 contrats ont été visés par les enquêtes et certains de ces contrats concernent directement les fils de Meziane, le PDG de Sonatrach. Le câble évoque le contrat Sonatrach-Anadarko et la joint-venture BRC (Brown Roots and Condor) destiné à développer le champ de pétrole El Merk. La note souligne que BRC a été liquidée en 2008 par Sonatrach et le contrat n'a jamais été appliqué. La source anonyme de l'ambassadeur précise - pour rassurer ? - que l'affaire BRC ne faisait pas l'objet d'enquête. Dans un commentaire l'ambassadeur précise néanmoins que BRC fait partie, selon la presse, de la liste des enquêtes en cours. La source notait aussi que la désignation d'Abdelhafid Ferghouli, ancien vice-président aval, en tant que DG par intérim ne va pas durer longtemps et que personne parmi les cadres poursuivis ne reviendra à son poste. Le câble note, sur la base de rapports de presse, que la «peur a paralysé» les hauts dirigeants de Sonatrach qui «ont tous peur de prendre une décision». L'ambassadeur note qu'une évaluation similaire est faite par les Français qui sont très «préoccupés» du fait des engagements de Total en Algérie. La source algérienne, biffée par El Pais, décrit des cadres de Sonatrach qui ne cessent de «regarder par-dessus l'épaule» et ont « peur de prendre des décisions» ou de «signer quoi que ce soit». Le câble note que Sonatrach n'aurait pas signé des modifications aux contrats d'assurance rendus nécessaires par la LFC 2009. Les sociétés d'assurances étrangères n'ont pas été payées et elles risquent à brefs délais de cesser «d'assurer les opérations de productions» sur des champs qui sont les plus grands projets de l'amont avec la participation des sociétés étrangères. Le rôle «principal» du DRS Le câble constate le rôle «principal» du DRS (Département du renseignement et de la sécurité) qui n'est plus dans «le cadre du ministère de la Défense», dans les enquêtes. S'il note que la «sortie de l'ombre du DRS» est sans précédent, le câble précise que son service de recherche spécial a été actif pendant des années y compris sous l'ère de Boumediene. La source non identifiée fait état de l'extrême prudence des responsables de Sonatrach dans leurs discussions dans les réunions car ils se sentaient «surveillés». Sur les ramifications politiques, l'ambassadeur souligne que personne ne croit Khelil quand il dit ne rien savoir de l'enquête et que la plupart estiment qu'il avait la haute main sur Sonatrach et qu'un parent à lui, Hemche, y avait une position clé même si la signature revenait à Meziane. «En décembre, Hemche a été brusquement mis à la retraite et s'est installé à Lugano, en Suisse». L'ambassadeur américain à Alger paraît perplexe au sujet des spéculations politiques entourant cette affaire et les autres scandales. «Certains pensent qu'il s'agit d'une conséquence logique de l'engagement du président Bouteflika à combattre la corruption. La plupart l'interprètent cependant comme une action du DRS contre des responsables de Sonatrach qui doivent leurs postes à Khelil, proche de Bouteflika, en riposte au «contrôle civil imposé par Bouteflika depuis sa réélection pour un second mandat». Le commentaire final note que l'enquête contre les dirigeants de l'entreprise qui finance la moitié du budget du pays et réalise 98% de ses recettes d'exportations «a choqué» et a donné lieu à des fortes spéculations sur ses motivations politiques. La partie émergée de l'iceberg Dans un pays où le pouvoir et les processus de décisions sont «opaques», les «spéculations croissent alors que les preuves matérielles sont rares». Un analyste américain du risque a indiqué que « tous ses contacts croient que les enquêtes du DRS sont «un message à Bouteflika» pour qu'il permette aux parents de hauts gradés d'avoir une «plus grande part du gâteau économique» ou que le «clan de l'Ouest» doit céder le pouvoir aux militaires «dominés par l'Est» ou encore, «plus simplement» que le pouvoir à prédominance civile devrait redonner une plus grande influence aux militaires en coulisses. Face à «cette théorie et d'autres», l'ambassadeur ne voit pas de «preuves tangibles» permettant d'accréditer une interprétation politique particulière. Par contre, il est certain que cette affaire de corruption n'est que la «partie émergée de l'iceberg». L'ambassadeur accorde une importance particulière à la lettre de Hocine Malti, repris dans la presse nationale, dressant une longue liste d'affaires conclues par Sonatrach devant intéresser le DRS. Selon l'analyste du risque, ses sources sont «certaines que des agents du DRS ont suggéré cet article comme un «avertissement à l'autorité civile». En définitive note Pearce après avoir rappelé d'autres affaires - autoroute, BRC, licences de pêche, Algérie Telecom, BNA - la seule vraie question sans réponse est : Bouteflika est-il l'ordonnateur de cette campagne anti-corruption, chose revendiquée publiquement par le Premier ministre Ahmed Ouyahia. «Ce serait compatible avec l'intention exprimée depuis longtemps par Bouteflika Son silence, relevé par la presse, n'a fait qu'alimenter la spéculation».