Le spectacle Barbès Café, créé en 2011, revient dans sa troisième édition à sa maison natale, le Cabaret Sauvage à Paris, après une tournée en Algérie en 2012. Sur idée de Meziane Azaïche, en collaboration avec Naïma Yahi et une mise en scène de Géraldine Benichou, le Barbès Café est un genre culturel à part entière. C'est une harmonisation à la fois festive et mélancolique entre le gratin de la musique algérienne et la dramaturgie théâtrale, en scènes d'opéra. Le tout se tisse pour former une vraie comédie musicale relatant l'histoire de l'immigration algérienne et à travers elle l'immigration maghrébine en France. Quelque sept cents spectateurs étaient présents durant la soirée de samedi dernier sous le chapiteau du Cabaret Sauvage pour assister à l'ouverture de ce spectacle qui connaîtra huit autres dates d'ici le 15 mars prochain. Vers 21h, la troupe de Barbès Café prend le relais du groupe Finzi Mosaïque Ensemble qui a animé la première partie et bien chauffé la salle avec des morceaux rythmiques de la musique tzigano-orientale, issue des Balkans et du bassin méditerranéen. Le décor se réadapte en quelques fractions de secondes, sous les youyous du public féminin. Les couleurs et les lumières choisies pour accompagner la prestation musico-théâtrale nous renvoient à la vie ordinaire autour d'un café à Barbès, un quartier typiquement algérois , à quelques minutes de Paris. Les tableaux se dessinent et se suivent avec maniabilité pour raconter en musique l'histoire de nos ressortissants dans l'hexagone. Lucette (Annie Papin) est la gérante de Barbès Café qu'elle a acheté avec son défunt compagnon, Mouloud, «ouvrier algérien, à moustache fine. Il était ouvrier durant les jours de semaine et roi des guinguettes le week-end». Derrière son bar, elle accueille Salah (Salah Gaoua), ami d'antan de Mouloud, avec lequel elle remonte le temps et laisse libre cours au déferlement de ses souvenirs. Salah se charge de donner des répliques permettant de passer d'une scène musicale à une autre, gardant un lien étroit entre les paroles des chansons choisies et les dates historiques célébrées. Les voix de Samira Brahmia et Hafid Djemaï, interprètes, et la souplesse de Sarah Guem, danseuse, ont vite séduit le public. Il fallait compter aussi sur la qualité des titres chantés, sélectionnés par Nasredine Dalil. Ce sont des chefs-d'œuvre qui reflètent la pensée, le sentiment et l'engagement de la communauté algérienne à l'exil en lutte quotidienne, selon chaque époque, contre le colonialisme, les injustices, le racisme et surtout l'éloignement de leur terre natale. Très émues dès les premières chansons, quelques spectatrices n'ont pas pu retenir leurs larmes en écoutant les paroles de Slimane Azem (L'Algérie mon beau pays), accompagnées d'images d'archives diffusées sur deux écrans géants. Le maître fondateur de la chanson kabyle s'est retrouvé, à l'âge de vingt ans, exilé en France et envoyé combattre les Allemands en 1940. Voilà qu'en 1954, il soutient le déclenchement de la guerre de Libération nationale, comme la quasi totalité de nos immigrés, avec sa célèbre chanson Effegh a ya jrad tamurt-iw ! (Sauterelles, quittez mon pays !). Pour fêter cette indépendance tant attendue et espérée, il récidive avec Idehred Wagur (La lune est apparue). Entre ces deux chansons, Samira Brahmia prête sa voix à Kateb Yacine, lisant un passage d'un texte écrit pour dénoncer les massacres du 17 octobre 1961 : «Peuple français, tu as vu notre sang couler, tu as vu la police jeter les manifestants dans la Seine.» Ces quelques paroles significatives ont été accompagnées de la projection de vidéos et d'images d'archives, notamment une transcription sur une bordure de la Seine indiquant : «Ici, on noie les Algériens». Sous les huées du public, on redécouvre le visage de Maurice Papon qui a ordonné ce massacre en plein Paris, avec une phrase assassine : «Si c'était à refaire, je vais le refaire». La prochaine déclaration apparue sur l'écran est celle de François Hollande qui a reconnu le tort de la France et les souffrances infligées au peuple algérien par cet épisode macabre et la colonisation en général. A ce moment du spectacle, la période coloniale est clôturée définitivement avec la chanson populaire de Hadj M'Hamed El-Anka, El hamdoulah mabkach istiîmar fi bladna (Dieu merci, il n'y a plus de colonisation dans notre pays). Les traits des souffrances se dispersent et laissent place à la joie de vivre. Toute la salle du Cabaret Sauvage cède à la tentation dansante du tube des années 1970, Ya madame serbi latay (Madame sers-nous du thé) du chanteur Aouhid Youcef et le fameux titre Sidi H'bibi du grand chanteur arabo-andalou, Salim Halali, un juif algérien sauvé de la déportation nazie par la Mosquée de Paris qui lui a délivré une fausse attestation de musulman. Le spectacle est clos avec une interprétation originale de La Marseillaise (hymne national français) et la diffusion des portraits des stars françaises d'origine algérienne. Une conclusion qui résume bien le message de Barbès Café : «Tolérance, intégration et attachement aux origines».