On lâche rien ! Ce tube de HK & Les Saltimbanks, qui a clôturé le spectacle «Barbes Café», présenté mardi soir à la salle Ibn Zeydoun à Alger devant un public nombreux, ressemble presque à un mot d'ordre. Ceux qui sont allés vivre ailleurs, en Europe, en France, ne lâcheront ni de leurs droits ni de leurs origines. C'est plus qu'un discours, mais une prise de position, marquée à gauche. Claire. «Partout la révolte gronde. Dans ce monde, on avait notre place On n'a pas la tête à l'emploi, on n'est pas né dans des palaces… Ils ont voulu nous diviser pour dire qu'ils y sont arrivés», chantent Hafid Djemaï, Samira Brahmia et toute la troupe du Barbès Café, spectacle mis en scène par Géraldine Benichou, conçu et écrit par Méziane Azaïche et Naïma Yahi. «Depuis toujours, l'immigration est leur chair à canon dès que reviennent les élections. Oui, messieurs les puissants, que vous le vouliez ou non, la France multiculturelle sera toujours la plus belle», lance Lucette (Annie Papin), tenancière d'un bar, le Barbès Café, là où se réunissaient les migrants d'Afrique du Nord. Lucette, venue elle-même de la France profonde, a appris la culture de ses hommes, a entendu parler du couscous grâce à la chanson de Bob Azzam, Fais-moi le couscous chéri. Elle s'est même attachée à Mouloud, «ouvrier la semaine, roi des guinguettes le samedi soir». Avec Mouloud, Lucette ouvre le Barbès Café. Autour de Lucette, de ses souvenirs et des discussions avec Salah (Salah Gaoua), le spectacle est construit. Il est bâti, à la manière du music-hall, sur des reprises des chansons de l'immigration, arrangées par Nasredine Dalil. Chaque titre exprime une idée, reflète l'esprit d'une époque, rappelle un événement historique, ou dévoile les tourments de l'exil, de l'éloignement. Le spectacle commence par N'skoun fi Barbès de Rachid Taha, sur des images vidéo choisies par Aziz Smati sur ce quartier situé dans le XVIIIe arrondissement à Paris, là où l'immigration maghrébine est la plus présente. A partir des années 1950 et jusqu'aux années Mitterrand, les années 1980, l'histoire est racontée avec les chansons historiques de Slimane Azem, El Hasnaoui, Fadila Dziria, Dahmane El Harrachi, Remiti, Hnifa... Ay ajrad de Slimane Azem est reprise pour rappeler la colonisation française, l'artiste ayant comparé les occupants à des sauterelles. El Hamdoulilah ma bkach istimaar fi bladna, de M'hamed El Anka, est interprétée pour signifier la fin de l'occupation française. Elle est accompagnée de youyous et de pas de danse. Sur scène, le hip-hop oriental est également convoqué de temps à autre pour «illustrer» certaines chansons grâce à la jeune danseuse Sarah Guem. «Peuple français, tu as tout vu de tes propres yeux. Tu as vu notre sang couler, tu as vu la police jeter les manifestants dans la Seine». Ce texte de Kateb Yacine sur les ratonnades du 17 octobre 1961, menées par le sinistre Maurice Papon, est lu par Samia Brahmia pour rappeler la tache noire de l'Histoire contemporaine de la France. La lecture soutenue par la célèbre image : «Ici, on noie les algériens». L'après-1962 algérien est quelque peu brutalement représenté avec la reprise de Maison blanche d'El Hasnaoui, sous-entendant un pays «que tout le monde fuit». A l'écran est écrit : «des villages désertés et des femmes devenues bergères». Il n'y a pas exagération quelque part ? Les années 1970 sont évoquées à travers le succès d'époque de Youcef Aouhid, Ya Madame Serbi Lataï. Sont rappelés ensuite l'apport des artistes juifs au chant maghrébin comme Lili Boniche, à travers Alger Alger et Salim Halali. Lors de la deuxième guerre mondiale, l'imam de la Mosquée de Paris, Si Kaddour Benghebrit, avait donné une couverture musulmane à Salim Halali pour le protéger des nazis. «Notre message est celui du partage, du respect, de la fraternité et de la tolérance», a déclaré sur scène Samia Brahmia. Le combat des migrants pour reconnaître leurs droits après l'arrivée des socialistes au pouvoir au début des années 1980 est évoqué également. Autant que la marche contre le racisme de 1983. Hommage est rendu aussi à Malik Oussekine, étudiant franco-algérien tué à 22 ans après une bavure policière en décembre 1986 au Quartier Latin à Paris. Produit en 2011, «Barbès Café» a été repris en 2011 et présenté au Cabaret sauvage au parc de la Villette à Paris. La tournée en Algérie a été organisée par l'Agence algérienne du rayonnement culturel (AARC). «Barbès Café est une idée de Meziane Azaïche qui voulait raconter et célébrer les événements du 17 octobre 1961. Il m'a contacté et avons monté avec Naïma Yahi, Kamel Hamadi et Nacerddine Dalil un noyau. Nous avons travaillé sur cette idée de raconter la guerre d'indépendance vue à travers un café de l'immigration. Nous avons choisi une quarantaine de chansons qui vont des années 1940 aux années 1970. Nous nous sommes aperçus que tous les tubes de ces années-là venaient de l'immigration», nous a déclaré Mohamed Ali Allalou, directeur artistique. Il a cité l'exemple des chansonnettes de Salah Saâdaoui et Mazouni qui évoquaient la vie de tous les jours. «Par le passé, on disait que l'exil c'était affreux. Et, aujourd'hui, les jeunes chantent pour la harga. Des jeunes qui rêvent de partir. Le paradoxe», a ajouté cet ancien producteur de la chaîne III de la radio algérienne.