Il n'existe presque plus d'expert à Alger pour soutenir cela. Soutenir que l'Algérie peut, dans un horizon humain, revenir et dépasser son niveau de production de 220 Mtep (millions d'équivalent pétrole) atteint entre 2005 et 2007. Amor Khelif, le tonitruant économiste de l'énergie est crépusculaire. L'Algérie a, selon lui, son Peak Oil derrière elle. Le mieux qui lui reste à faire sur les 20 prochaines années serait de contenir la courbe de la déplétion. Ne pas tomber trop vite sous les 200 Mtep, ce qui lui pend au nez si les projets de développement en cours (Gassi Touil, Sud Ouest, récupération tertiaire) font encore du retard. Un homme, un au moins, ne partage pas ce «pessimisme» géologique. Ali Hached, ancien vice-président de Sonatrach, est le principal conseiller du ministre de l'Energie. Il croit à un 3e âge pétro-gazier algérien. Le second, après celui de Hassi Messaoud - Hassi R'mel des années 70-80, aura été celui de Hassi Berkine –In Salah des années 90- 2000. Ses vis-à-vis étrangers l'écouteraient d'une demi-oreille dans les forums internationaux s'il n'appelait pas, en renfort de son credo, le potentiel du gaz de schiste algérien. «Peut-être le plus grand au monde». Si on y ajoute le pétrole de schiste et le «tight pétrole» que l'évolution du forage horizontal rend plus accessible, alors tout ne serait pas perdu. Mais à quel coût ? Nazim Zouiouèche, ancien PDG de Sonatrach, l'a affirmé encore l'autre week-end au Forum d'Alger du cabinet Emergy. Au-delà d'un certain coût d'extraction, le gaz de schiste est barré par le solaire. Car les deux concourent dans la même catégorie de la production d'électricité. Le gisement solaire algérien, illimité, est à terme plus compétitif que de nouveaux puits de gaz schisteux qui font une déplétion proche des 50% dès la première année d'exploitation. D'où les 6000 forages aux Etats-Unis en 6 ans pour maintenir le plateau de production de gaz de schiste, par ailleurs non rentable s'il n'est pas associé à une quantité d'extraction liquide, très bien valorisée sur le marché pétrolier. Ali Hached prêcherait donc dans le désert. Il y aura peut-être un troisième âge énergétique algérien. Mais il ne serait pas lié prioritairement aux hydrocarbures. Car la rente gazière - notamment elle - tend à fondre au soleil lorsqu'il faut chercher des volumes non conventionnels. Le tableau est donc celui-là. La production algérienne d'hydrocarbures décline. Et les efforts pour la redresser sont d'autant plus névralgiques que pendant ce temps, la consommation énergétique interne cavale à bride rabattue sur les grandes étendues steppiques du pays. Un cadre de Sonelgaz, pensant sans doute donner de la hauteur à son Power Point, a indiqué - lors du récent symposium de l'AIG à club des pins - que le groupe utiliserait 130 milliards de m3 de gaz naturel par an pour faire face à la demande électrique du pays à l'horizon 2040. Sans sourciller au sujet de l'insoutenabilité de ce volume. L'Algérie, selon cette projection hors énergies renouvelables, va importer de l'énergie primaire dans 20 ans afin de satisfaire sa demande domestique en électricité. Amor Khelif a, devant les étudiants intrigués de Sciences Po Alger, soutenu que le scandale de la politique énergétique de l'ère Chakib Khelil est beaucoup plus grave encore que les scandales à la corruption qui entourent l'ancien ministre. Dans un autre style, la lettre ouverte de Nicolas Sarkis au président Bouteflika laisse entendre la même chose. Chakib Khelil est coupable d'avoir hâté le Peak Oil algérien de plusieurs années. En poursuivant une politique hyper-productiviste sur l'amont algérien. Après la nouvelle poussée dans le feuilleton des affaires liées à la période de Chakib Khelil, les témoignages sont devenus un peu plus précis et plus audibles ces dernières semaines sur le risque qu'il a fait courir à la longévité de gisements essentiels - Hassi R'mel en tête - en ne respectant pas les règles techniques de préservation de la pression dans les puits. But commercial. Si la production chute depuis 2008, c'est parce qu'elle n'aurait pas dû atteindre les 2020 Mtep en 2005, pour des raisons propres à l'agenda personnel du ministre protégé du président Bouteflika. Soit, mais alors que faut-il faire ? Gémir encore des mois et des mois sur les dégâts d'une politique aventureuse dénoncée déjà dans le microcosme depuis plusieurs années ? Khelil a peut-être dans sa quête affairiste rendu un immense service à l'Algérie. A son corps défendant, il a avancé l'heure de la diversification industrielle. Un autre homme dans la même fonction a tenté de le faire. Volontairement. Belkacem Nabi a organisé au début de l'ère de Chadli Bendjedid, une rareté relative de l'offre algérienne de pétrole et de gaz en annulant le plan d'investissement Valhyd laissé par Belaïd Abdesslam. La suite a été à la fois dramatique et salutaire. L'Algérie, dépossédée de la rente énergétique, est entrée dans les réformes de compétitivité. C'est ce même scénario qui attend le pays en 2020. A deux différences près. La mémoire du système algérien sait, grâce à octobre 88, qu'il faut engager la Réforme avant la rareté des ressources. L'autre différence est que Belkacem Nabi était un honnête ministre qui a agi selon des convictions patriotiques. Et qui vit tranquillement chez lui. Khelil n'est pas promis au même avenir.