C'est une grosse bulle qui s'est dégonflée cette semaine. Celle du gaz de schiste. Le premier ministre, Abdelmalek Sellal, a annoncé que son exploitation, si elle devait avoir lieu, interviendrait autour de 2040. C'est-à-dire au moment où se seront taris les gisements de gaz conventionnel. Le point de vue d'un premier ministre algérien ne vaut bien sûr pas engagement sur aussi longue période. Le fait est que l'exploitation du gaz de schiste ne viendra pas au secours du bilan énergétique algérien dans la prochaine décennie. Cela est un point de vue unanime dans la communauté des experts. C'est donc aussi celui de Nazim Zouiouèche. L'ancien Pdg de Sonatrach et spécialiste de l'amont pétro-gazier a animé un atelier de formation sur le gaz de schiste au profit des journalistes du réseau Rameve, à Alger. Son pronostic sur l'entrée en production commerciale des premiers gisements du gaz de schiste algérien se situe également très au-delà de la décennie. Mais ce n'est pas tout. Attaquée sur son flanc environnemental pour sa pollution des nappes albiennes, l'exploitation du gaz de schiste pourrait ne jamais intervenir pour une autre raison, bien plus rédhibitoire. Sa faible compétitivité économique. Le rendement des puits est dès le départ beaucoup plus faible que ceux sur des gisements conventionnels. Ensuite, la baisse de la production est en moyenne de 40% dès la première année sur un puits de gaz non conventionnel. De sorte qu'il faut creuser plus vite que la déplétion. C'est-à-dire creuser de nouveaux puits tout le temps. L'aventure du gaz de schiste aux Etats-Unis depuis une dizaine d'années est le fruit de 55 000 puits creusés. Le gaz de schiste est une industrie intensive du forage. Doublée d'une cohorte de coûts additifs. L'eau et son traitement après usage. Si le gaz de schiste ne démarre pas plus vite en Algérie, c'est parce qu'il s'écoulera beaucoup de temps avant que ses coûts d'extraction ne deviennent un peu concurrentiels face aux autres hydrocarbures. Cela est déjà moins vrai pour les tite-gas et les tite-oil. Des parties de gisements classés conventionnels mais non exploités, car le gaz ou le pétrole y restent prisonniers de la roche mère. Pas assez de porosité et de perméabilité. La montée en puissance du forage horizontal dans le sillage de l'exploitation du gaz de schiste et l'amélioration de la technique de la fracturation hydraulique ont rendu depuis quelques années les gisements de tite-gas et de tite-oil attractifs. Il en existe en Algérie. Leur exploitation correspondrait à une substantielle amélioration du taux de récupération dans des gisements existants. Le gaz de schiste n'est donc pas économiquement une réponse au déclin rapide des réserves de pétrole et de gaz algérien. Aux Etats-Unis, le coût d'extraction du million de Btu de gaz de schiste revient entre 5 et 7 dollars. Son prix de vente sur le marché spot est en dessous de 3 dollars. Pour Nazim Zouiouèche, les coûts d'extraction de ce gaz non conventionnel seraient en Algérie encore supérieurs à ceux des Etats-Unis. Pour des raisons évidentes d'intensité technologique. Autant dire que la remontée des cours du gaz sur le marché spot nord-américain devrait attendre de le refaire passer au-dessus des 10 dollars le million de BTU pour espérer y apporter une production algérienne de gaz de schiste. Cela n'en prend pas le chemin dans le monde d'aujourd'hui. Mais, comment font donc les exploitants américains du gaz de schiste si cher sur un marché si déprimé ? Ils déposent le bilan pour certains d'entre eux. Revendent leurs puits aux grandes compagnies pour les autres. Elles peuvent soutenir l'effort à perte pendant quelque temps. Pour faire place à cette énergie moins polluante que le charbon et le fuel, concurrents historiques du gaz dans la génération de l'électricité. Il y a eu beaucoup de bruit en Algérie pour peu. Il faut reconnaître que le ministère de l'Energie, depuis la fameuse annonce de Houston de Youcef Yousfi en 2010, a réussi à vendre l'idée rassurante d'un troisième âge pétrolier algérien grâce au gaz de schiste. Pour exorciser les inquiétudes régionales sur le déclin de la production algérienne depuis six ans. La vérité est plus sèche. Les gaz et les pétroles du troisième âge sont plus compliqués à exploiter, plus chers à extraire. Et l'avantage historique algérien de Hassi Messaoud et Hassi R'mel ne joue plus dans une configuration mondiale qui remet en selle une infinité de sources d'énergies jusque-là non compétitives. Dans un tel contexte, refuser de regarder l'avenir solaire de l'Algérie comme un grand dessein industriel et énergétique est un entêtement de bureaucrates carbonés. Le point de vue de Nazim Zouiouèche ? Le solaire doit devenir la première source de production d'électricité sur un marché domestique dont la croissance peut encore s'accélérer dans les prochaines années. Le gaz naturel servira à l'hybridation. Il sera ainsi préservé pour l'exportation. Le gaz de schiste devient un recours hypothétique dans ce modèle. Celui du bon sens.-