Une mesure a été introduite dans l'exposé des motifs portant amendement de la loi 05-07 du 28 avril 2005 relative aux hydrocarbures, adoptée le 21 janvier 2013 à l'APN et publié au journal officiel 24 février 2013. Que veut dire au juste la mesure n°2 stipulant que « la priorité à la satisfaction des besoins en hydrocarbures liquides et gazeux du marché national, notamment à travers un dispositif obligeant les contractants à céder, au prix international, une partie de leur production » ? Le ministre de l'Energie et des Mines, Youcef Yousfi, a voulu justifier l'amendement de la loi 05-07 comme une tentative de rendre le secteur des hydrocarbures algérien plus attractif aux yeux des partenaires étrangers de Sonatrach. Mais différents avis se dégagent quant à la mesure 2 figurant dans le motif des exposés. Contacté, Nazim Zouiouèche, ancien PDG de Sonatrach explique que « c'est une loi de 1971 qui a été reconduite (reformulée, ndlr) ». Pour cet ancien cadre de la première compagnie africaine, « obliger les entreprises étrangères à vendre une partie de leur production, assure à l'Algérie l'alimentation du marché national en hydrocarbures sans recourir aux importations ». Selon Zouiouèche, l'équation est simple. « Pourquoi importer des hydrocarbures, alors qu'un partenaire étranger peut nous le fournir sur place », souligne-t-il. Dans le même sillage, il indique qu' « une société étrangère ne peut investir pour produire à perte. Cette mesure est incitative ». Quant au prix de la quantité qui sera desservie sur le marché national par les compagnies étrangères, Nazim Zouiouèche précise qu' « il sera fixé selon le prix de vente référé par Sonatrach ». Dans l'entretien qui suit, Ferhat Aït Ali, analyste financier, apporte des explications.
Ferhat Aït Ali : « La consommation de confort dépasse de loin celle de la production».
Pourquoi dans le projet d'amendement de la loi 07-05, les concepteurs ont introduit la mesure n°2 ? Qu'entend-on par « un dispositif obligeant les contractants à céder, au prix international, une partie de leur production » ? C'est une reconduction de la loi de 2005. Elle garantit juridiquement contre une procédure d'arbitrage en cas de conflit avec un partenaire étranger qui voudrait faire passer ses engagements propres avant les besoins du pays et les engagements de la Sonatrach sur d'autres marchés contractuels. Cette clause coupe la voie à toute contestation. L'Algérie n'a en définitive pas le choix. Aucune entreprise étrangère ne viendra investir pour vendre au prix subventionné ce qui est illogique et inadmissible en droit. La situation actuelle ne permet pas de rester dans cette situation de désinvestissement en pleine déplétion des gisements existants, et des besoins financiers de plus en plus incontrôlables, et comme unique source de revenu les hydrocarbures sous toutes leurs formes. En même temps, les exigences d'un marché intérieur en progression débridée ne permettent pas de laisser le champ libre aux investisseurs étrangers pour commercialiser leur part de production à leur convenance au détriment des besoins locaux ou des engagements externes du pays. De ce fait, cette mesure est censée garantir les intérêts de toutes les parties, du moins théoriquement et juridiquement, et éviter les contentieux en aval de la production. Les contractants étrangers peuvent prendre des engagements sur leur quote-part vis à vis de clients extérieurs au même titre que Sonatrach. En même temps, le marché interne exige une augmentation des fournitures qui vont en courbe ascendante, pouvant atteindre éventuellement 40% de la production prévisionnelle. De ce fait, il fallait introduire une clause qui oblige le partenaire étranger à céder au marché national les quantités nécessaires au prix international, ce qui est logique du fait que les prix locaux sont subventionnés par le Trésor et il n'est pas attendu que des étrangers supportent une politique interne de subventions publiques. Cependant, il aurait fallu quand même préciser de quel prix international il s'agit. Celui du spot au moment de la livraison ou celui des contrats à long terme. La différence est de taille, même si dans cette omission, il semble sous-entendu que c'est le prix du spot qui est visé par le terme international. Le prix international est une garantie pour le partenaire. Mais sa production est soumise à une sorte de droit de préemption de la part de la partie algérienne. Une fois ses livraisons versées sur le marché algérien, ce partenaire sera payé sur la base du prix offert par ses clients ou la bourse au jour de l'achat et non sur un prix imposé par l'Algérie sur la base du prix soutenu qui est plus bas que le prix de revient. De toutes les manières, cette loi démontre le peu d'attractivité du domaine minier algérien sous la précédente législation qui a été contestée par les sociétés déjà présentes. Les restrictions et autres oukases établis au nom d'une souveraineté mal comprise n'ont pas pris en compte les paramètres économiques tels que le besoin du pays en investissements et en fonds pour financer des budgets en dérapage par rapport aux vraies capacités économiques du pays. La véritable place de l'Algérie dans le marché des hydrocarbures OPEP et hors OPEP, à la lumière des nouvelles données du marché, ne mettent pas le pays en position de dicter ses conditions à d'éventuels investisseurs. J'ai bien peur qu'après l'attaque de Tiguentourine, même le taux de la TRP ne soit révisé à la baisse dans la Loi de finances complémentaire 2013. En outre, cette mesure garantit une réorientation au prorata de la production de chaque compagnie, de la partie nécessaire à la couverture actuelle et future du pays. Elle conforte surtout selon laquelle nous assisterons à une augmentation assez importante de la demande interne d'énergie qui risque de doubler pour l'électricité dans dix ans et qui s'est multipliée par 5 pour les produits pétroliers depuis 2000. La demande nationale en énergie risque de doubler aussi dans dix ans et ce, dans l'éventuelle baisse des réserves. En dehors du cadre fiscal, cette mesure est « logique ». Cette obligation faite aux partenaires étrangers de céder les quantités nécessaires au marché national, permet d'éviter la rupture locale et/ou d'importer la différence pour pouvoir honorer en même temps les contrats et les besoins locaux.
Donc cette mesure n°2 est inéluctable ? Certainement. Il est clair qu'il faut régler le gaz aux étrangers qui le produisent à son vrai prix commercial, tout en le vendant à un prix plus conforme au pouvoir d'achat des Algériens. Si on aligne le prix des produits énergétiques sur ceux du marché international, c'est la paralysie totale du pays. Des ménages ne pourraient même pas régler la facture avec leur salaire et la plupart des véhicules resteraient à l'arrêt Je ne crois pas que le pouvoir est en position de créer un facteur de révolte de cette ampleur. Moubarak a été emporté par une pénurie de butane et de pain pour cause de manque de gaz dans les boulangeries. Il est d'ailleurs remarquable de constater que des institutions financières internationales et même l'OMC, font pression pour que les prix locaux soient alignés sur les prix internationaux, sous prétexte de règles anti-dumping pour les produits locaux, alors que tout le monde sait que l'Algérie ne concurrence personne avec ses produits manufacturés, même pas chez elle ou elle est importatrice nette pour 90% de ses besoins. Cette insistance sur un volet sans incidence sur le commerce international du pays et éminemment déstabilisateur, ne peut s'expliquer que par l'intrusion d'influences politiques bien intéressées dans les rouages et les buts effectifs desdites institutions internationales.
Cette mesure n°2 est-elle au final directement liée au fait que la consommation d'énergie au niveau national ne cesse d'augmenter ? Oui et non. Le prix du gaz et de l'électricité resteront soutenus par l'Etat quel que soit le prix d'achat auprès des contractants étrangers. Il y a deux comptabilités chez Sonelgaz. La première est le prix d'achat et d'exploitation ainsi que l'amortissement des investissements. La deuxième est celle du prix de vente définitif du produit énergétique. Un fond spécial compense les pertes induites par la baisse des prix par rapport à celui de la production. Les banques prennent en charge les soudures entre la facturation et le recouvrement des factures. Le Trésor public supporte la marge sur tout ce qui est livré au marché algérien, comme le gaz ou le pétrole. Ceci est une politique nationale qui n'engage que l'Etat, pas la Sonatrach ou ses actuels ou futurs partenaires. Comme pour les autres produits subventionnés, il y a des fonds spéciaux. Ce n'est pas aux opérateurs de supporter une politique sociale locale. Je pense que la consommation ne va pas baisser avec les nouveaux besoins crées chez les ménages. Le problème est que la consommation de confort dépasse de loin celle de la production de biens et de richesses. De toute façon, toute la politique de subventions publiques telle que nous la pratiquons à ce jour, connaitra sa fin un jour ou l'autre, par manque de moyens ou rationalité économique. Mais dans l'immédiat, toute tentative d'y mettre fin équivaut à se tirer une balle dans le pied pour le pouvoir, dans la mesure ou les subventions fonctionnent comme une sorte de sédatif social, censé suppléer à une absence totale de système économique au sens universel du terme. L'augmentation des inégalités salariales même dans la même filière ou institution ou les salaires inférieurs n'auraient plus le choix qu'entre le suicide ou la révolte en cas de disparition subite de ces subventions sans système de compensation efficace, touchant aux revenus des couches les moins aisées qui sont justement la majorité de la société.
Et concernant le mode de calcul de la TRP ? La taxe sur les revenus pétroliers était calculée sur le montant global des ventes, comme une sorte de taxe forfaitaire qui ne prenait pas en charge les dépenses d'investissement et d'exploitation hors celles prévues par le décret Décret exécutif n° 07-130 du 7 mai 2007. La nouvelle formule permet de la transformer en une sorte d'impôt sur les bénéfices des compagnies pétrolières, en permettant de la calculer sur la marge nette induite par l'exploitation après déduction des charges globales d'amortissement des investissements et d'exploitation des champs pétroliers et gaziers. Mais il ne faut pas confondre entre la base taxable et la comptabilité globale des ventes. Ce n'est pas aux compagnies de déterminer leur rentabilité sans aucun décompte des prélèvements, mais c'est un bilan à présenter qui tient compte des ventes réelles vérifiées, des charges réelles réglées et des investissements réels comptabilisés, comme pratiqué aujourd'hui. La seule différence est dans le fait qu'au lieu d'appliquer un pourcentage sur le chiffre global des ventes, il est appliqué un pourcentage sur le bénéfice net après déduction des charges après contrôle fiscal et douanier en amont, chez les entreprises étrangères elles-mêmes. Cette dernière révision bénéficie aussi bien à Sonatrach qui pourra déduire ses investissements et charges futures avant calcul de l'impôt, au même titre que les autres opérateurs. Ceci lui permettant d'investir en franchise sans être ponctionnée sur l'intégralité de ses recettes brutes. Globalement, cette énième révision de cette loi et d'autres dans le sens de la rétraction sur les prétentions souverainistes de l'année 2009, irréalistes et contre productives, est révélatrice des errements d'une autorité partagée entre des bureaucrates sans prise sur le réel et de politiciens prêts à tous les retournements pour perdurer et éventuellement prospérer à titre individuel et non collectif.