Assimilé à un acte criminel, un contrôle technique qui n'est pas fait à temps expose le contrevenant à une peine de deux à six mois de prison. Cette brutalité judiciaire semble traduire l'agacement devant la débauche au volant et au-delà, l'attente interminable du bon diagnostic. Résultat peu glorieux : l'Algérie est classée 4e sur la liste des pays où la mortalité sur les routes est la plus élevée. Une fatalité ? On peut toujours s'interroger sur l'absence d'en effet salutaire de la loi sur la première tragédie nationale. La sévérité des sanctions pour le contrôle technique est un bel exemple. La lourde sentence est assujettie au retrait du permis de conduire et à une amende de 20 000 à 50 000 DA. Le texte, qui va loin dans la logique de l'intimidation, constitue un énième arrêt dans une vaine tentative de réduire la criminalité routière. Le carnage continue avec une augmentation des chiffres. Et pour cause, les usagers de la route sont unanimes : «La mort frappe entre deux barrages fixes, dans ces no man's land livrés à la pagaille.» Avec sa mortalité et le train de circulaires coercitives, la circulation routière est un sujet qui fâche. La nouvelle circule dans le champ médiatique depuis déjà deux ans, sans réaction appropriée même chez les plus belliqueux des leaders des défenseurs des droits de l'homme. Les opinions recueillies à ce sujet vont dans le même sens : «La prison pour une telle infraction n'est pas seulement une stupidité disproportionnée. C'est un scandale liberticide.» Parmi les automobilistes interrogés, il n'y a pas de contestataires au sujet de lois rigoureuses. Mais «est-il nécessaire de réduire la loi en système archaïque de terreur ? C'est la logique des coupeurs de mains. Sous des allures d'une bienfaisante décision sécuritaire, cette disposition est un aveu d'incapacité à poser le bon diagnostic et agir en conséquence». C'est plus que de la mauvaise gestion. La loi est passée, mais n'a eu aucun effet salutaire sur le terrain. L'hécatombe donne le vertige : près de 4000 enterrements et 50 000 blessés par an, l'équivalent du plus meurtrier des séismes de ces trente dernières années. Un avocat déplore l'absence de passerelles entre le contrôle technique et l'assurance : «Le contrat d'assurance devrait expirer avec le CTA, sans besoin de sortir la grosse artillerie et de promettre la prison, car dans un pays moderne, la peine de prison est une exception et non la règle. La force de la loi n'est pas réductible à l'administration aveugle du châtiment inquisiteur. Il faut de la pertinence.» Et d'ajouter : «C'est sur le terrain que se gère la sécurité, non au sein des commissions de retrait de permis et la névrose des dates de contrôle technique. Or, les routes et autoroutes sont le plus souvent vides de toute présence de gendarmes en dehors des barrages fixes qui n'ont même plus de valeur préventive. La discipline n'est pas innée chez la personne. Partout dans le monde où il y a défaillance de contrôle, il y a de l'insécurité.» Le flagrant délit, une exception Le ministère des Transports est sans doute le premier à constater la folie humaine dans les accidents. Les causes sont bien répertoriées : excès de vitesse, dépassements dangereux et non-respect des distances de sécurité. C'est ce qu'on appelle «le facteur humain» incriminé à 90% dans cette catastrophe nationale. Par facteur humain, il faut entendre automobilistes, piétons, motocyclistes et cyclistes. Ce médecin qui parcourt près de 200 km par jour pour son travail à Alger nous fait un constat assez réaliste de la situation : «Les gens conduisent comme ils se conduisent dans la vie. En l'absence de l'autorité, ils donnent libre cours à l'instinct.» Et d'ajouter : «L'indiscipline de l'automobiliste découle du laxisme. Chez les hommes en particulier, la conduite est fondée sur la course dans une quête d'affirmer sa puissance.» Pour ce qui est du matériel roulant, il faut de l'ordre aussi. A commencer par être attentif aux importations. L'Algérie est un débouché pour les véhicules chinois. Or, la Chine a peu d'expérience dans l'industrie automobile. Les notions de contrôle, de sécurité, de surveillance avec présence de gendarmes mobiles et radars sont perçues comme une assurance. «Les chauffards font la loi quand il y a défaillance du système de sécurité. Ces terroristes de la route se moquent des gendarmes mobiles qui roulent à 30 km/h sur les grands axes. A cette allure, il y a acte de présence symbolique sans effet préventif ou punitif.» Le docteur Smaïl Boulbina, accidentologue, qui a animé plusieurs séminaires sur la question, pointe du doigt «la passivité devant l'urbanisation accrue du nord du pays et l'absence d'une stratégie de lutte contre la première catastrophe nationale». Il accuse «la sédentarisation des forces de sécurité» et considère que «la police de la route doit circuler à bord de voitures banalisées pour constater le flagrant délit». Combien d'usagers de la route sont-ils sanctionnés pour de graves infractions banalisées ? Question sans réponse. Pourtant, l'honnêteté commence bien par la peur du gendarme.