L'islamisme ne sera pas vaincu par les grands principes et les discours, mais il est en train de se heurter à l'art de vivre et aux mœurs des peuples qu'il veut asservir. Montréal (Canada). De notre correspondant
Une confrontation qui est, au fond, un signe du début de sa décrue, au-delà de toute considération immédiate. Ce constat a été fait par la féministe algérienne Wassyla Tamzali qui prenait part, vendredi dernier, à une table ronde sur «La femme et les Printemps arabes», organisée à HEC Montréal par la chaire Walter Somers (dont le titulaire n'est autre que le professeur en management Taieb Hafsi) et la fondation Club avenir. Elle a étayé son propos en rappelant que l'empreinte islamiste dans la société, de plus en plus visible dans la tenue vestimentaire, n'a pas empêché les Algériens d'aller au-delà de la ridicule interdiction de la musique dans les fêtes, par exemple. C'est à travers ces petits gestes que le peuple résiste et balaie le discours islamiste. Pour l'ancienne avocate qui n'en est pas à sa première conférence à Montréal, le Printemps arabe, que d'aucuns qualifient de révolution arabo-musulmane, n'est ni arabe et encore moins musulman. Pour la simple raison que la région compte des Berbères dont certains sont arabophones et des non-musulmans. La religion «qui ne vient pas du ciel», comme l'a souligné Wassyla Tamzali, déclenchant une salve d'applaudissements dans l'assistance composée majoritairement de femmes d'origine algérienne, est en ce moment le symbole de la contre-révolution en Tunisie, berceau du Printemps arabe, avec l'arrivée au pouvoir du parti islamiste Ennahda. Sur ce point, l'un des présents, Farid Salem, fondateur de l'association Solidarité Québec-Algérie, a affirmé que ceci est dû aussi «au manque de solidarité des forces anti-obscurantistes, comme ce fut le cas en Algérie», faisant un mea culpa public qui reste malheureusement valable de nos jours.Wassyla Tamzali a appelé de tous ses vœux à une révolution religieuse et à une réforme de l'islam. Car il ne sert à rien de faire le pari que la politique pourrait démocratiser la religion. Cette réforme serait la vraie révolution dans le Monde arabe et ne concerne pas que les femmes. D'où la nécessité de remettre sur la table un débat sur la laïcité. A ce propos, elle écorche la gauche tunisienne qui a refusé d'aborder ce point en ce rendez-vous historique avec la démocratie. L'auteure de Une Education algérienne met en garde contre une interprétation technique et juridique de la laïcité qui serait juste une séparation entre la religion et la politique. Pour elle, la laïcité relève de la liberté de conscience. Wassyla Tamzali remarque que les événements dans les pays arabes sont la première révolution existentialiste dans cette partie du monde. Il y a 50 ans, reconnaît-elle, «nous avons libéré nos pays mais nous n'avons pas libéré l'individu». Le pouvoir en Algérie, depuis l'indépendance, a donné la gestion de la femme aux hommes à travers le code de la famille et a pris tous les autres pouvoirs pour lui. Celle qui se définit comme appartenant à la génération du dévoilement à l'indépendance, se désole de voir les femmes voilées. Elle trouve aberrant ce qu'on appelle féminisme islamique – «être libre de choisir de se soumettre». Pour elle, il n'y a aucune contradiction à être démocrate et interdire le voile : comme on n'a pas le droit d'être nu, on n'a pas le droit de s'habiller n'importe comment ! L'ancienne fonctionnaire de l'Unesco est en pleine rédaction d'un récit sur une jeune immigrée algérienne en Italie qui a porté le voile à l'âge de 15 ans et s'est dévoilée cinq ans après. «Son cheminement vers la liberté a commencé en interrogeant Dieu qui, dans Son infinie intelligence, n'imposerait pas l'obligation de le porter», affirme Wassyla Tamzali qui a martelé que «l'islamisme est une idéologie mortifère et le féminisme, c'est la vie». Elle reste toutefois optimiste. Elle croit que comme la Révolution algérienne avait libéré l'Afrique, la révolution tunisienne libérera le Monde arabe.