«Aimer, c'est la moitié de croire» Victor Hugo Angelo Scola, l'archevêque de Milan, l'archi favori pour succéder à Benoît XVI, est dans ses petits souliers. Il est passé à la trappe. Contre toute attente, c'est l'argentin Bergoglio ne figurant même pas dans les prévisions et sur les tablettes des bookmakers qui décroche le titre de chef suprême de l'Eglise. A Rome, la rue gronde. «Scola a été victime des siens ; les Italiens, comme dans une pathétique tragédie romaine, se sont ligués contre leur ‘‘frère'', lui fermant les voies de la consécration». En réalité, Scola n'a jamais été aimé par ses pairs, on ne sait si c'est à cause de son tempérament ou de sa volonté résolue de réformer la Curie. Scola, mis en avant et surmédiatisé aura tiré les leçons en méditant cette vérité : en religion comme en politique, celui qui tire le premier est mort d'une mort subite. Cela nous rappelle les chamailleries italiennes de 1978 lorsque la rivalité entre les deux favoris italiens a atteint un tel degré de férocité qu'elle a abouti à leur neutralisation. Et dans ce cas de figure assez insolite, mieux valait pour les cardinaux électeurs adopter le vieil et si efficace principe qui stipule : «Entre deux solutions, choisis la troisième». La futur Jean Paul II, de son nom Wojtyla, modeste outsider, se voyait ainsi propulsé, tirant profit de la situation incongrue créée. Il avait fallu 8 tours de scrutin pour en arriver là ! élection surprise A l'époque, comme pour les péripéties qui ont présidé à cette élection, la dramaturgie bien huilée avait bien fonctionné. Le rituel immuable avec son rideau rouge et son suspense est, vous en conviendrez, beaucoup plus proche du théâtre que de la chapelle. Le processus du conclave qui n'a finalement duré que deux jours était peu ordinaire, puisqu'il s'agissait d'une succession à une démission et qu'il fallait faire le bon choix en cette période de doute et de crise pour l'Eglise, qui a certainement emporté le démissionnaire Benoît XVI. Alors, pour rénover cette Eglise quelque peu rabougrie, quel type d'homme vont devoir choisir les 115 cardinaux ? Un ecclésiastique de mes connaissances m'avait averti en insinuant que les critères exigés étaient difficilement trouvables en un seul homme capable de réformer la curie romaine, de se distinguer par son charisme, de s'imposer par ses connaissances théologiques et de reblanchir la soutane maculée ! Cet homme-là devra aussi prendre son bâton de pèlerin pour redéployer le christianisme soumis à son corps défendant au brusque accès de fièvre de la modernité et ses nouvelles donnes et mutations sociétales de plus en plus pressantes. Alors, le pape nouvellement élu pourra-t-il remplir toutes ces missions sans casser la boutique ? Ce pape fraîchement élu avait déclaré en 2009 : «La pauvreté est une violation des droits de l'homme.» c'est cet homme timide, austère et réformiste qui s'est opposé au mariage gay en 2010 et a affronté la présidente de l'Argentine, Mme Cristina Kirtchner, sur cette question et avec laquelle il est en froid depuis qui a émergé contre toute attente. Jorge Mario Bergoglio, premier pape à prendre le nom de François, est le premier pape jésuite et le premier pape des Amériques. Avec sa discrétion et son refus du luxe et de l'ostentation, le nouveau pape incarne la défense des pauvres. Et ce n'est nullement fortuit si le nouvel élu jésuite a choisi le nom pontifical de François, en référence à Saint François d'Assises. Jésuite ? C'est l'un des ordres religieux numériquement les plus importants de l'Eglise catholique romaine. Les Jésuites, péjorativement hypocrites professent les trois vœux de pauvreté, de chasteté et d'obéissance à la volonté de Dieu et au pape. Une église mortifiée Quant à Saint François d'assises (1181-1226), c'est un religieux catholique italien fondateur de l'ordre des frères mineurs caractérisé par la prière, la joie, la pauvreté, l'évangélisation et le respect de la création. François se fait pauvre et s'habille d'un vêtement gris et se ceint la taille d'un cordon exactement comme s'habillaient les pauvres de son époque. Qui est le nouveau pape ? Agé de 76 ans, Jorge Mario Bergoglio est né en Argentine. Il est connu pour son mode de vie humble et sa lutte discontinue contre la pauvreté et les injustices. Il soutient une doctrine conservatrice, particulièrement en ce qui concerne l'avortement, l'euthanasie, le contrôle de la natalité, l'homosexualité, l'ordination des femmes prêtres. Archevêque de Buenos Aires depuis 1998, le nouveau pape est issu d'une famille modeste d'immigrants italiens. Son arrière-grand-père, venu du Piémont transalpin, s'est installé en Argentine en quête de travail à la fin des années 1880... Selon son biographe, François se lève à 4h30 tous les matins et se couche à 21h. Ne possédant pas de voiture, il emprunte les transports en commun de Bueones Aires et n'hésite pas à rendre visite à ses collègues qui œuvrent dans les bidonvilles encerclant la capitale argentine. «Etonnamment, Jorge Bergoglio n'aime pas voyager», affirme Eduardo Garica, évêque auxiliaire de Buenos Aires, qui prédit que le nouveau souverain pontife ne sera pas un pape voyageur comme l'était Jean Paul II, adepte des déplacements à travers les quatre coins du globe. Bergoglio est reconnu pour fuir les politiciens tout comme les médias . Malgré cela, il incarne la seule véritable figure d'opposition au clan Kirchner, dont il dénonce l'autoritarisme et qui dirige l'Etat argentin depuis 2003. Kirchner a déjà associé au Moyen-âge et à l'Inquisition des positions de Bergoglio, notamment sur la place des femmes et la contraception. Taxé de rétrograde, Bergoglio a encaissé sans répondre à la première dame de son pays, comme le lui suggérait son entourage. «Ma meilleure réplique, répétait-il souvent, est mon action sur le terrain pour aider et soulager mes concitoyens broyés par la politique suicidaire du gouvernement destinée à anéantir les démunis et les plus vulnérables.» Le passé controversé de l'Eglise catholique argentine est souvent brandi par les contempteurs du nouveau souverain auquel on reproche sa passivité et celle de l'église qu'il dirige, alors que les religieux ont soutenu la lutte contre la répression au Brésil et au Chili dans les années 1970. Chemin de croix En 2007, un prêtre argentin avait été condamné pour torture et complicité de torture avec la dictature. Bergoglio avait alors déclaré que l'Eglise n'était pas responsable des crimes commis, rejetant la responsabilité sur des individus isolés. «Il me semble que mes frères cardinaux sont allés le chercher à l'autre bout du monde le nouveau pape François. Je vous demande (à l'adresse des présents à la place Saint Pierre) une faveur, je vous demande de prier le seigneur pour qu'il me bénisse.» Telles sont les premières paroles du nouveau souverain pontife, plus métaphysiques que celles prononcées par Jean Paul II en 1978, qui avait harangué la foule de la même place en l'exhortant à ne pas avoir peur, allusion à la résistance au rideau de fer et aux dictatures qui sévissaient dans le bloc dit de l'Est. Prompt à dénoncer le néo-libéralisme et la mondialisation ravageuse, Jorge Bergoglio, autorité morale en Argentine, devra mettre les bouchées doubles pour redonner une autre image de l'Eglise, éclaboussée depuis des années par des scandales sexuels, par la pédophilie, mais aussi par sa proximité avec la mafia et le financement occulte du Vatican, qualifié d'Etat voyou. Tout un programme pour un homme enclin plutôt à la prière et la restauration de la paix dans un monde gagné par le bruit et la fureur. De plus, le nouvel élu a l'ambition de redonner une dynamique plus soutenue au dialogue des religions et une implication plus accrue dans la gestion des affaires du monde. Avec toutes ces missions, le pape aura-t-il le temps de faire un clin d'œil au club argentin de football de 1re division , San Lorenzo, dont il suit avec ferveur les résultats et dont il est lui-même membre de l'association des supporters. Comme on l'imagine, le plus heureux des hommes a été sans conteste le président du club San Lorenzo qui s'est démultiplié en louanges sur son site, en souhaitant au pape de marquer beaucoup de buts dans son exaltante et complexe mission. Mais le président a-t-il oublié que le pape est beaucoup plus un respectable défenseur qu'un attaquant téméraire ?