La commune de Barbacha est bloquée depuis 4 mois. Ce conflit entre une population qui demande le respect de sa volonté et une administration qui cherche à imposer ses propres choix s'est durci cette semaine avec des blessés, des arrestations et des mises sous contrôle judiciaire. Au-delà des enjeux spécifiques, le cas de Barbacha illustre bien les dérives d'un système politique et juridique inique qui a fait que des listes ayant obtenu un seul siège avec une poignée de voix ont vu leur candidat propulser au fauteuil de maire. Ou bien encore, des alliances hétéroclites, bricolées à la hâte, ont obtenu la majorité au détriment de la liste arrivée en tête des suffrages. Il illustre aussi cette carence de canaux intermédiaires qui fait que ce sont, de plus en plus souvent, les policiers et les gendarmes qui sont appelés pour régler des conflits sociaux et politiques. A coups de matraque ou de gaz lacrymogènes. Reportage à Barbacha, une commune qui apprend à s'autogérer. Cela pourrait commencer comme une BD d'Astérix. Les tumultes nés des dernières élections communales se sont calmés un peu partout. Toute l'Algérie a été pacifiée. Toute ? Non. Seule résiste une petite commune d'irréductibles montagnards qui réclament à cor et à cri «que la volonté populaire soit respectée». Que la liste pour laquelle ils ont voté majoritairement hérite enfin de la direction des affaires publiques. Dans le rôle d'Astérix, point n'est besoin de chercher trop loin, on retrouve Mohand Saddek Akrour. Ex-maire, paysan militant, prolétaire et gauchiste comme on en fait plus. Il est tombé dans le chaudron du combat identitaire et des luttes populaires tout petit. Le personnage du puissant César revient de droit à Ahmed Hamou Touhami, wali de Béjaïa. Une bonne partie de la population de Barbacha, puisque c'est de cette commune située à une quarantaine de kilomètres au sud de Béjaïa, qu'il s'agit, s'est rangée derrière notre Astérix kabyle. Derrière le wali, des cohortes de policiers antiémeute disciplinés attendant patiemment de jouer de la matraque au premier coup de sifflet. Las de voir l'entrée du siège de sa wilaya obstruée par ces montagnards braillards, le wali a ordonné, dimanche dernier, qu'on les chasse manu militari. L'averse de coups de matraque a commencé aussitôt que la pluie a cessé, racontent les témoins oculaires. C'est l'avant-dernier épisode du bras de fer, vieux de quatre mois, qui oppose l'administration centrale à la population de Barbacha. Le sit-in organisé par des centaines de citoyens pour réclamer, encore une fois, la dissolution d'une APC qui n'a jamais siégé et la désignation d'un nouveau chef de daïra a été chargé par la police. Une vingtaine de citoyens, dont l'ex-maire Mohand Saddek Akrour, sont embarqués à l'intérieur du siège de la wilaya. Voici sa version des faits. Akrour est blessé. Il a le visage en sang. Lorsque le wali s'approche de lui, une altercation verbale s'en suit. Le wali : «Rouhou ând el ministre, ne venez pas chez moi !», aurait dit le wali. Akrour réplique: «En 2001, ici même, j'ai dit à l'ex-wali Djillali Aârâr, ta place est en prison. Toi tu es un Aârâr bis. C'est toi qui devrait être arrêté, pas moi !» Selon Mohand Saddek Akrour, l'échange s'est conclu par un bras d'honneur du wali en sa direction. Le wali que nous avons rencontré dans son bureau nie catégoriquement avoir fait un bras d'honneur à Saddek Akrour. «Quand je l'ai reconnu sur l'écran de contrôle de la vidéosurveillance, je suis descendu de mon bureau et j'ai juste essayé d'essuyer le sang qu'il avait sur le visage, par réflexe humanitaire. Je lui ai dit : «‘Aïb âlik. Regarde un peu où t'as mené les gens de Barbacha'», dit le wali. Et de poursuivre : «Il m'a copieusement insulté. En tant que personnage public, je peux accepter d'être insulté, mais je ne conçois pas qu'on insulte ma race et mes parents.» Malgré cela, le wali estime qu'il n'y a rien de personnel entre lui et l'ex-maire de Barbacha. La maison du peuple et l'assemblée générale ouvertes Depuis le début de ce conflit, il y a quatre mois, la commune de Barbacha s'est organisée en «assemblée générale ouverte». La salle des fêtes communale est devenue «Akham n Chaâb», la maison du peuple. C'est le quartier général des délégués de la vingtaine de villages que compose la commune. C'est là que nous reçoivent, ce mardi, Mourad, 27 ans, étudiant, Abdelhafid, 29 ans, chômeur, Takfarinas, 30 ans, chômeur et Amar, 36 ans, qui se présente comme président d'association. Sur l'un des murs, à l'entrée de la salle, sont placardés tous les communiqués rédigés par l'AG depuis le début du conflit. On en est au 19e. Les décisions sont collégiales et tout se fait en concertation. La salle se remplit petit à petit et les discussions ne tournent qu'autour de la répression du sit-in du dimanche et des arrestations qui s'en sont suivies. 24 personnes ont été arrêtées et présentées au procureur au chef-lieu de wilaya. Des centaines de citoyens sont partis à Béjaïa camper devant le tribunal toute la journée du lundi. Les détenus ont fini par être relâchés. Les villageois savent que leur nombre est déterminant dans le rapport de force qui les oppose au pouvoir. En l'absence d'un exécutif communal, les délégués gèrent comme ils peuvent les affaires de la commune. Ils ont pris en charge la gestion du souk hebdomadaire, la collecte des déchets ménagers, la distribution du gasoil pour les écoles et tous les petits et grands problèmes qui font la vie d'une commune pauvre et rurale comme Barbacha. «On commence à devenir un exemple pour les autres communes. Et un exemple trop contagieux d'une population mobilisée et auto-organisée», affirme Mourad Atrouche. «Nous sommes asphyxiés !» Lahlou Benrezqallah, un citoyen de Barbacha, que nous avons rencontré dans un café, est dépité. Il lance un véritable cri d'alarme : «Nous sommes asphyxiés depuis 4 mois. L'enregistrement des naissances, des morts, des mariages, l'obtention des passeports et d'autres pièces encore, tout est gelé. Ni le wali, ni les élus APW, ni les députés ne sont venus nous voir. Les autorités de ce pays doivent au moins déléguer les signatures pour faire fonctionner les services publics.» Il exprime parfaitement ce sentiment d'abandon que l'on peut aisément ressentir chez une bonne partie de la population. La détermination à faire aboutir ce combat s'exprime aussi d'une manière forte chez des citoyens qui accourent par centaines, si ce n'est par milliers, aux meetings et aux assemblées. Le wali, lui, estime qu'il a rencontré les gens de Barbacha six ou sept fois depuis le début du conflit. Il y a bien longtemps que les relations se sont envenimées entre le wali de Béjaïa et Mohand Saddek Akrour. Ce dernier raconte que durant son mandat, le wali a été reçu à Barbacha à 5 reprises avant qu'une décision de boycott ne soit prise à son encontre. «Il n'avait pas tenu les promesses faites lors de ses dernières visites. Nous n'avions reçu ni le fauteuil dentaire, ni la niveleuse, ni rien de ce qu'il avait promis. Nous lui avons alors dit que s'il devait venir nous faire encore de fausses promesses, ce n'était pas la peine qu'il vienne», dit Akrour. L'homme est catégorique. Il n'a pas la réputation de mâcher ses mots ni de marchander ses principes. «Il représente le pouvoir et je représente le peuple» Le wali aurait mal pris le fait d'être boycotté. Aux dernières élections communales, le dossier de la liste du PST, sur laquelle se représente Akrour, est rejeté. C'est alors que le torchon commence à brûler publiquement entre les deux hommes. Le tribunal administratif rétablit le PST dans ses droits. «J'ai rejeté sa liste par conviction, à cause des agissements durant son mandat, mais j'ai été débouté par le tribunal administratif et j'ai accepté le verdict», estime le wali, en réponse à ce grief. Au soir des élections, la liste de Mohand Saddek Akrour obtient la majorité relative, mais une alliance entre le FFS, le RCD et le FLN arrive à former une majorité de 8 sièges face au 6 obtenus par le PST. L'instruction de DOK, le ministre de l'Intérieur, est passée par là. L'administration fera tout pour imposer cette liste qui ne siégera jamais, alors que la population n'a d'autre choix que de descendre pour tenter d'obtenir que sa volonté soit respectée. La mairie et la daïra sont fermées dans la foulée. Des médiations sont tentées, mais elles n'aboutissent à rien. Le 14 février, le wali reçoit une délégation des citoyens de Barbacha. On en arrive à un deal : la population doit rouvrir la daïra et le wali prononcer la dissolution de l'Assemblée lorsque tous les élus auront réussi à se réunir au moins une fois. «Nous avons respecté les termes de notre accord, mais le wali n'a pas respecté ses promesses», dénonce Akrour. Retour à la case départ. Le wali déclare à la presse que tous les moyens de l'Etat seront mis pour rouvrir l'APC. Sous- entendu, y compris l'usage de la force publique. A nous, il a déclaré que c'est le Parti socialiste des travailleurs, (PST), qui ne respecte pas les règlements et les lois de la République. Chacun campe sur ses positions. «Il représente le pouvoir, je représente le peuple», affirme Akrour. Tout est dit dans cette dernière phrase. Qui du peuple ou du pouvoir aura le dernier mot ?