Universitaire et romancière, Miral Tahhawi est devenue au fil du temps, malgré son jeune âge, une écrivaine incontournable dans la littérature égyptienne et arabe. Elle représente admirablement cette nouvelle génération avide de renouveau et de modernité, mais aussi d'ancrage dans la réalité profonde du petit peuple qui se cherche constamment, en proie à tous les bouleversements et les secousses les plus destructeurs. Chaque roman de Miral Tahhawi est un émerveillement pour le public des lecteurs qui suivent les pas de cette écrivaine avec une grande admiration reflétée par la critique littéraire professionnelle. De grands critiques se sont intéressés à son œuvre tels que Salah Fadhl, Djaber Asfour, Edouard El Kharrat, Yumna Laïd et d'autres et qui n'ont pas tari d'éloges sur elle. Elle est devenue le chef de file d'une génération revendicatrice d'un autre horizon prometteur qui sort des sentiers battus. Elle refuse le diktat des fondateurs qui ont fixé le genre sans toutefois pouvoir le remettre en cause. Peut-être que la thématique du désert qui traverse toute son œuvre romanesque y est pour quelque chose dans cette reconnaissance, mais la plume incise de Miral et sa vision globale qui font de la générosité et de l'enfance un atout d'écriture, y sont pour quelque chose. Dans tous ses romans et ses nouvelles, la dominante de l'espace bédouin est très visible. Miral détermine son écriture comme un espace ouvert sur l'infini et non pas un lieu fermé sur un imaginaire clos ; en termes plus simples, Miral recherche sa cité perdue dans les dédales d'un désert qui ne possède qu'un seul langage : le silence. Un silence qui en dit long et qui ne demande qu'à être exploré et élucidé. Ces questionnements et ces ingrédients traversent de fond en comble son écriture : la famille face aux difficultés d'une modernité qui perce difficilement, la situation de la femme dont la destinée est tracée depuis la naissance et dont le temps ne fait qu'aiguiser les désirs inassouvis, les mythes et les rêves qui s'imbriquent dans un réel qui échappe à la raison intellectuelle et aux logiques habituelles. Un désert qui donne à première vue l'impression que rien ne bouge depuis des siècles, pourtant tout est mouvement... D'ailleurs, le silence chez Miral n'est que jeux et faussetés, puisque l'espace est investi par le mouvement invisible des choses, il faut juste avoir l'oreille et l'œil aux aguets. La vraie bataille des habitants du désert n'est pas contre l'indéfini, contre le Namous (système originel) sans lequel, tout peut s'effondrer, plutôt contre ce qui définit cet espace et le restreint. Ces éléments d'écriture font de Miral la digne héritière de cette tradition d'écriture poétique arabe très ancienne, mais aussi romancière dans la lignée de Abderrahmane Mounif et Brahim El Kouni. Cette thématique inscrite dans un langage populaire très vivace lui a valu une reconnaissance méritée et plusieurs prix littéraires dans le monde arabe. Les titres de ses livres sont très révélateurs : Gazelle de la terre impossible (recueil de nouvelles paru en 1995), la Tente (Al Khiba'), roman phare de Miral qui fut, lors de sa première sortie, un grand événement littéraire (paru en 1996, choisi comme le meilleur roman de l'année par l'université américaine, a reçu le premier prix du roman au salon du livre du Caire en 2002), son deuxième roman L'Aubergine bleue (sorti en 1998) qui retrace la vie d'une enfant refusée dès sa naissance étant née fille alors que tous attendaient le mâle qui ferait changer les destinées de malheur, a reçu à son tour la plus haute distinction du grand prix d'Etat de littérature de l'année 2000. Cette reconnaissance a facilité à Miral le passage vers d'autres langues étrangères ; on compte aujourd'hui presque une dizaine dont le français, l'anglais, l'allemand, l'italien, l'espagnol et le grec. Les tintements des antilopes est son dernier roman qui remet sur scène le même climat global qu'on retrouve dans toute l'œuvre de l'écrivain. Il s'installe confortablement dans les territoires d'écriture déjà acquis par l'écrivain. Un choix de taille qui donne aux écrits de Miral une identité et des assises véritables. Ce petit roman, dense et coloré, s'ouvre sur une icône, un cadre dans lequel on voit déjà tous les belligérants de l'histoire et qui ont presque tous disparus. Comme si le temps était incapable d'effacer la trace : il y a tout d'abord Hind, la petite fille aux tresses bien arrangées, assise sur la jambe d'une femme noire, la servante Inchirah, à côté de cette dernière, se tenaient, debout, les deux sœurs de Hind, Sqawa, pleine et assez forte, et Sahla, toute maigrichonne et mince comme un fil de laine. Et puis, il y a la narratrice par laquelle toute l'histoire du palais turc et de la vie bédouine est racontée amplement. Nadya, la servante n'était pas sur la photo directement, mais dans le fond du décor, prise de dos, en train de préparer le café ou de cuisiner. Les filles, les servantes, les grand-mères et les grand-pères font le socle sur lequel repose les petites histoires racontées magnifiquement dans ce roman. Cela ressemble à un conte de fées, puisque la narratrice dont le nom échappe au roman, est bercée par une enfance rêvée, se projette dans la vie de Hind qui ne ménage aucune astuce pour découvrir les secrets des autres. Bien cachée dans le jardin du palais turc, elle ne faisait rien durant toute la journée qu'écrire ses observations dans un petit carnet qui est tombé entre les mains de la narratrice et dans lequel Hind raconte l'histoire de Ferhana la servante avec un homme mince et maigre mais qui ne se fatigue jamais. Toutes les histoires amoureuses du jardin sont mises à nue, même celle de Rodha qui n'a pu échapper au regard persécuteur. Même après sa mort tragique, Hind continuait de les hanter, parce que le jour de sa mort personne ne l'a pleurée. Nadya raconte cette dernière image : un corps inerte allongé sur le banc. Ses cheveux étaient blancs. Ce jour-là, personne ne l'a pleurée. Ils l'ont laissée toute seule après avoir fermé portes et fenêtres. Depuis, elle ne cessait de leur rendre visite à tour de rôle. La dernière fois qu'il l'ont vue, elle était au milieu de la cour, presque endormie sur les jambes de Nadya qui lui racontait l'histoire de Souha, l'antilope qui s'était envolée en plein ciel parce qu'elle avait laissé derrière elle sa progéniture sans pouvoir la défendre ; elle lui a juste légué les échos de ses tintements qui lui permettront de sentir le danger avant qu'il ne se manifeste sous ses yeux. Hind revenait aussi sous la silhouette d'une antilope qui léchait les pieds de Mohra ou Souha pour les réveiller de leur sommeil. Mohra la voyait même se métamorphoser en papillon. Les chiens, perturbés, sentaient sa présence et commençaient à aboyer. Personne ne croyait à ces histoires farfelues, pourtant Hind était toujours là, pour rappeler sa présence. Tous les ingrédients d'une fable sont présents dans Les tintements des antilopes et font de la mémoire brimée et mal assumée une hantise. Une mémoire ne s'éteint jamais par la mort ou par décret ; elle ressemble à l'histoire vécue par les individus, dans son réveil inattendu, elle finit toujours par rattraper les acteurs. Ce beau roman est une métaphore de la fin d'un monde qui a perdu toutes ses illusions et son innocence ; incapable d'assumer les fragilités et les failles qu'il a lui-même créées.