Le printemps des managers de la sphère bancaire et du champ économique public n'a pas officiellement commencé. Les mécanismes de substitution à la pénalisation de l'acte de gestion tardent à voir le jour. Le ministère de la Justice et le département de Karim Djoudi, en charge de la gestion des finances du pays, ont eu pourtant l'ultime recommandation du Premier ministre qui, dans une récente instruction, a appelé ces deux ministères à une concertation à même de trouver des mécanismes en mesure d'aboutir à la dépénalisation de l'acte de gestion. Pourquoi le projet de loi portant dépénalisation de l'acte de gestion est resté otage de sa vitesse initiale ? Parce que le groupe de réflexion engagé dans cette œuvre fait face à un écueil de taille. «Trouver un point d'équilibre entre le fait de permettre aux gestionnaires d'avoir la flexibilité nécessaire en termes de gestion tout en se prémunissant contre les risques de fraude», a expliqué récemment Karim Djoudi, comme pour justifier la complexité de l'équation. Dans leur quête d'alternatives crédibles de substitution à la pénalisation de l'acte de gestion, les législateurs puisent surtout dans les mécanismes civils et administratifs. En règle générale, la pénalisation excessive est universellement condamnée comme une erreur de politique criminelle. Le droit pénal doit être maintenu pour les fraudes, mais pas en ce qui concerne la violation d'obligations formelles. La nature excessive de l'acte de pénaliser a conduit en Algérie à des catastrophes humaines incommensurables. Des managers de la sphère bancaire, voire même d'entreprises publiques, se sont retrouvés subito presto en taule pour avoir signé un marché de gré à gré à même de faire face à une concurrence menaçante. Outre la pénalisation excessive, l'ambiguïté en quantité des textes pose un réel problème. Exemple : «La réglementation des marchés publics d'octobre 2010 ; même revue en janvier 2012, a commis un grave contresens en mettant sur un pied d'égalité les contraintes d'une entreprise publique qui intervient dans le secteur concurrentiel avec celle d'une municipalité au profit de laquelle ont été mobilisés des fonds publics sous forme d'opérations budgétaires à caractère définitif (c'est-à-dire de dépenses non remboursables)», nous explique Ali Mebroukine, professeur en droit pénal des affaires. C'est pourquoi, les législateurs sont appelés à concilier les exigences inhérentes à la vie des affaires avec des textes en perte de vitesse par rapport au rythme de l'économie de marché. Les contresens de la réglementation en vigueur ont complètement laminé les entreprises publiques face à la concurrence. Les managers se sont transformés de facto en simples carriéristes, dénudés de toute ambition. Et c'est ainsi que la législation a arrêté l'élan bancaire dans l'œuvre de soutien à l'investissement productif. Il serait ensuite naïf de croire que la refonte en chantier puisse aboutir à l'octroi «d'un blanc-seing aux managers, gestionnaires et autres ordonnateurs, sinon ce serait la porte ouverte à tous les abus», croit, Ali Mebroukine, dans un entretien avec El Watan. Les banquiers entre le marteau et l'enclume L'expérience a démontré et prouve encore dans les différentes affaires de corruption étalées sur la place publique que là où le contrôle défaille, l'infraction prospère. «L'absence de contrôle, donc de sanction, est le terreau le plus fertile à la germination de toutes les infractions.» «Il faut par conséquent réfléchir à une désincrimination qui n'aboutisse pas à la suppression de l'obligation sanctionnée, mais qui prévoit des mécanismes de substitution qui sont en général civils et administratifs», recommande le professeur en droit pénal des affaires. Certes, l'œuvre de dépénalisation de l'acte de gestion est salutaire dans le fond comme dans la forme, mais il est, néanmoins, imprudent de croire que les législateurs ont toute la latitude de faire jouir les banquiers d'une parfaite autonomie managériale. Les banques publiques ne disposent que d'une faible indépendance, non par rapport à la Banque d'Algérie, qui est la plus haute autorité monétaire du pays, mais par rapport à des centres de pouvoir et de décision autrement plus puissants que l'Institut d'émission. «Avant d'évaluer la pertinence de la dépénalisation de l'acte de gestion du banquier, il serait plus approprié de protéger le banquier contre les immixtions extérieures et faire en sorte qu'il n'obéisse qu'aux directives et instructions de la Banque d'Algérie», estime M. Mebroukine, enseignant aussi à l'Ecole supérieure de banque. Se posera ensuite la récurrente question liée à l'autonomie de la Banque centrale du pays par rapport aux sphères décisionnelles du régime. Exemple : au lendemain des émeutes de janvier 2011, les banquiers ont reçu l'ordre inavoué d'accorder des crédits importants aux jeunes souscripteurs aux formules d'accès à l'emploi via l'Ansej, la CNAC, etc., dont on connaît l'étroitesse de la surface financière et les risques que ces crédits génèrent, par voie de conséquence les chances minimes pour elles de rembourser les crédits octroyés. Tout cela s'est fait en violation des règles prudentielles et au vu et au su de la Banque centrale sans que celle-ci puisse dire mot. Résultat des courses : les banques font face à une montée en flèche du taux et de la valeur des créances non performantes. En attendant de voir aboutir les travaux de la commission chargée de réfléchir aux mécanismes palliatifs à la pénalisation de l'acte de gestion, le passage de sanctions pénales à des sanctions civiles et la systématisation de l'injonction sous astreinte (en droit des sociétés notamment) sont des voies à explorer. Aux dernières nouvelles, la première mouture du texte serait prête, en attendant son examen, sous peu, par le gouvernement.