A partir d'aujourd'hui, l'artiste montre ses nouvelles créations. Le poète, Alphonse de Lamartine, a laissé à la postérité cette question en vers : «Objets inanimés, avez-vous donc une âme qui s'attache à notre âme et la force d'aimer ?» Près de deux siècles après, l'artiste, Mohamed Massen, s'amuse, mais sérieusement, à lui apporter une réponse positive. Oui, nous dit-il, les objets ont une âme, à plus forte raison quand ils sont «morts», soit qu'ils n'ont plus d'usage. C'est donc dans les caves, les dépôts, les rebuts, les décharges et parfois même dans la rue, qu'il collecte la matière de son art. Tout ce qu'on désigne en arabe dialectal sous le vocable de «khorda». Il ramasse ainsi ce qui peut constituer pour lui un élément de création avec une prédilection pour les objets métalliques usagés : outils, pièces de machines ou de serrurerie, éléments de ferronnerie, etc. Au grand désespoir complice de son épouse, il accumule dans son domicile des amoncellements disparates de ferraille d'où son inspiration puisera les éléments de ses créations. Dans la démarche de l'artiste algérien, c'est finalement moins Lamartine que Lavoisier qui lui sert de référence, réminiscence de ses cours de chimie au lycée où il apprenait le principe de ce grand savant : «Rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme». Après des études de droit et une carrière de cadre supérieur d'entreprise, Massen prend, avec sa retraite notamment, toute la mesure de sa passion pour l'art moderne ainsi que de sa longue fréquentation curieuse des brocantes et des marchés aux puces. Abonné à Oued Kniss, centre de la brocante algéroise, il commence à tenter de réparer de vieux objets avant de les transformer et de les assembler. De cette matière improbable, il tire des merveilles, créant des formes qui se répandent entre rêve, poésie et humour. Formes humaines, animales ou indistinctes, ce sont de véritables personnages qui jaillissent de son travail de création, conçu comme un interminable conte métallique qu'il orne de motifs ou d'à-plats aux couleurs étonnantes, inspirées par ses admirations envers Miro, Basquiat ou Picasso mais également des traditions picturales algériennes. Ce conte artistique peut être aussi perçu comme une leçon écologique sur le destin des rejets de l'humanité. Vercles de grands fûts d'huile dont il a traité à sa manière les surfaces pour susciter encore une fois le plaisir de la contemplation, la curiosité de ses interventions et des réflexions qu'elles entraînent toujours entre son art et l'âme de ces objets qui dégagent les traces de leur propre vie. L'exposition qui comprend une quarantaine d'œuvres, s'intitule «De faim et d'ennui» en référence à cette phrase de l'artiste Jean Dubuffet : «Sans pain, l'homme meurt de faim. Sans art, il meurt d'ennui.» Elle se tient au Centre de loisirs scientifiques dépendant de l'établissement Arts et culture de la wilaya d'Alger, un lieu qui devrait se donner une identité pour faciliter sa dénomination et le rendre plus chaleureux. En attendant, allez-donc vous étonner avec l'art transformiste de Massen qui, lui, ne se départit jamais de sa bonne humeur enfantine.
Centre des Loisirs scientifiques. 5, rue Didouche Mourad, Alger