Passionné d'art moderne et de brocante qu'il fréquente assidûment, l'artiste est à la recherche de l'objet rare ou autre matériau pour insuffler vie à ses sculptures... «Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme». «Lorsqu'au lycée, j'apprenais ce principe du chimiste Lavoisier, je ne me doutais nullement que bien des années après, j'allais le pratiquer dans un domaine tout à fait insolite: la sculpture d'assemblage», dit l'artiste Mohamed Massen. En effet, ce dernier, juriste de formation et cadre supérieur d'entreprise publique à la retraite, a pourtant toujours été attiré par les arts modernes et la brocante qui constituent une véritable passion pour lui. Une silhouette d'homme tortueuse, un cheval complètement déstructuré, une chèvre décharnée, une chouette fabriquée à l'aide d'une houe plaquée sur une planche et peinte avec énormément de couleurs, un pantin désarticulé, une fillette qui se regarde dans un miroir et se voyant belle, tout ceci constitue l'oeuvre atypique et fort intéressante de Mohamed Massen. Des créations expressives ou semi-figuratives qui prêtent à l'ironie et à l'interrogation, comme ces étranges êtres caricaturés, désarticulés qui symbolisent le grotesque de la vie rappelant certaines oeuvres de Djaoudet Gassouma, un autre artiste plasticien de mérite, et dont Massen avoue partager des affinités dans le monde de l'art. Mais, qu'est-ce qui motive notre artiste à s'adonner à cet exercice périlleux de création plastique? «Cela vient de ma passion pour le monde merveilleux des objets que je découvrais au cours de mes pérégrinations à travers les brocantes et les marchés aux puces que j'ai toujours fréquentés assidûment...», révèle l'artiste. Dès lors, son intérêt pour les belles pièces, mais aussi pour les objets dépareillés, incomplets, estropiés ne cessera de croître. «Je me suis mis assez rapidement à les réparer puis, faute de mieux, à procéder sur eux à des adaptations, à des sortes de prothèses qui, parfois, ne manquaient pas de charme», poursuit-il. Pris de sympathie pour les vieux outils, devenus inutiles et inutilisables, Massen en fera vite des assemblages. Sa toute première création représentait une tête de bovidé issue de la combinaison entre une vieille houe de jardinier et un compas de serrurier atteint par l'âge de l'obsolescence. Ce fut le commencement d'une série d'articles de sculpture. Le coup de foudre s'étant opéré, l'artiste ne cessera de suivre son chemin à la recherche de nouveaux matériaux pour sculpter. Après les vieux outils, un marché qui s'était quelque peu tari, ce sera le tour de la ferraille, des morceaux épars qu'il trouve abandonnés dans les champs et sur les bas-côtés des routes. De ce tas de ferraille ramassé et qu'il entassera dans son garage qui ne tardera pas à devenir un capharnaüm, Massen va le façonner de ses mains d'expert pour en faire de pures oeuvres d'art. «Chaque élément, avec ses potentialités propres, ses vides, ses échancrures, son usure, son érosion, ses brûlures, les séquelles de tous les sévices subis, m'intéresse dans toute la plénitude de ses imperfections et les attributs de son apparente impersonnalité», affirme le sculpteur. «Mon but à travers la représentation de ces objets est de susciter la réflexion, le dialogue. C'est ce à quoi tend l'art moderne il suggère, contrairement à la dictature de l'art figuratif qui vous impose une vision figée des choses», souligne-t-il. L'espace, pour l'artiste, joue en outre un rôle important dans ce traitement donné à l'objet. Il est à même de lui conférer une dimension amplement poétique. D'après Mohamed, le vide même devient un espace véhiculant un certain vocabulaire sculptural. De ces objets hétéroclites qu'il récupère, l'intervention de Massen consiste en la mise en scène de chaque élément de manière à les structurer harmonieusement dans l'ensemble, en vue de générer une expression de l'objet. Tel est, en effet, le but à atteindre par Massen. L'artiste a pour rôle ainsi de faire dire à ses sculptures ce qu'il a ou n'a pas envie de dire de vive voix, laissant aux autres la latitude d'interpréter ce qu'ils voient et ce qu'ils ressentent à la découverte de ses créations, notamment ses bas reliefs, dont certains témoignent de la tragédie humaine et plus particulièrement du drame que vit actuellement l'Algérie. Ce drame est paradoxalement teinté d'humour, traité ou dévoilé d'une manière presque ironique, avec dérision. «Dans cette vie, il ne faut pas trop se prendre au sérieux», nous confie Mohamed. Comme un enfant qui pose un regard puéril et innocent sur le monde qui l'entoure les oeuvres de Massen, gorgées de vie et de fantaisie, nous invitent à pénétrer dans un univers enchanteur. Cette destruction ou cassure, dans la forme des objets serait au bout du compte, le reflet d'une profonde envie de se reconstruire par «une sorte de sublimation de l'objet et du signifiant qu'il doit exhaler» et d'expliquer: «Tout acte d'artiste est un exercice d'exorcisme au bout duquel on sort libéré et en libérant l'oeuvre d'artiste, on se libère soi-même», souligne l'artiste, qui dit être influencé dans l'art moderne par Miro, Calder et Picasso, sans oublier l'Américain Basquiat, un jeune peintre noir. Celui-ci constitue un modèle et une référence pour Mohamed Massen, plus particulièrement dans le domaine du bas relief. «Parce qu'il a commencé dans les bas fonds de New York en versant dans la drogue puis il a trouvé son exutoire dans l'art moderne. Il fera entrer l'art de la rue dans les galeries. C'était l'ami d'Andy Warole». Même si Mohamed a toujours été enclin à peindre et à créer avec presque rien, faut-il le rappeler, c'est bien tard qu'il sera amené à exposer. Précisément depuis 1998 dans les ambassades et différentes salles d'exposition. L'année dernière, il a obtenu le prix 2000 de sculpture, une distinction honorifique qui lui a été attribuée par la Fondation-Asselah. «Un artiste est un homme seul, mais qui ne s'ennuie jamais», achève de dire cet amoureux de la matière, qui, en dépit de toutes ces années passées, a su préserver sa folle envie de créer et d'inventer, en vue d'assembler les plus beaux morceaux de la vie.