Pour qu'on ne puisse pas oublier, j'essaye à chaque fois qu'on me donne l'occasion, de faire connaître à tous les frères SMA, qu'ils soient actifs ou anciens, l'historique de notre grand mouvement éducatif et de certains responsables et chefs scouts tombés au champ d'honneur. Mon devoir de doyen est de contribuer à dépoussiérer l'une des pages de l'histoire glorieuse de notre nation et de notre mouvement, en rendant hommage à ces chefs glorieux qui ont tout donné au Scoutisme musulman algérien. J'ai connu le chef martyr Si Hassen pour la première fois, alors que j‘étais membre du groupe El Falah de Bordj Bou Arréridj ; c'est-à-dire en 1941-1942. Il y avait un contact permanent entre les groupes de la région. Le groupe El Hayat de Sétif et ses éléments plus expérimentés venaient souvent nous rendre visite et nous faisions de même à chaque occasion. Ce chef scout est un exemple de sincérité, de courage et de patriotisme. Il m'a tellement impressionné par son don oratoire, son dynamisme et sa générosité ainsi que par la rudesse de son comportement, qu'il reste pour moi un exemple que l'on se doit de suivre. Le chef Belkired est né le 22 novembre 1905 à Constantine et a vécu à Sétif. Issu d'une famille de lettrés, son père Si Youssef était cadi à Aïn Oulmène et sa mère était la fille de Benachour Bourenane, héroïque participant à la révolte des Ouled Sidi Chikh. Autodidacte, plein de qualités et de vertus, il puisait sa force et son aspiration dans l'âme de nos paysans spoliés, la faim viscérale de nos ouvriers et la révolte muette des intellectuels. Anticolonialiste, il fut aussi antinazi. Il disait souvent : « Celui qui justifie Hitler, justifie Bugeaud ». Il était grand admirateur de Chikh Abdou, d'El Afghani, de Mohamed Ali Djinah et de Mustapha Kamel Ataturk. Très jeune, il quitta clandestinement l'Algérie pour l'Egypte où il vécut quelque temps. Rentré au pays, il ouvrit une librairie : Ettaraki el Arabi. L'enseigne était complètement en langue nationale et c'était lancer un défi à l'administration coloniale. Homme d'action, de haute stature, il alliait avec bonheur la force physique et la grandeur du sentiment. Patriote ardent et pur, généreux et humain, il tressaillait à chaque soubresaut du peuple et il ne croyait nullement à la fatalité de l'histoire. Par son génie créateur et son activisme téméraire, il fonda en 1938 le groupe scout El Hayat, très populaire dans toute la région des Hauts-Plateaux. Il contribua aussi à la création de plusieurs groupes comme à Guelma, Annaba... Sa fonction de « voyageur de commerce » lui permettait des déplacements qu'il mettait à profit pour se mettre en relation avec tous les groupes scouts de l'est algérien, ce qui facilitait l'échange d'informations et de documents entre eux. Il constitua aussi la société musicale Es Saâda. Personnellement, je me souviens de ce groupe qui était constitué de scouts, dont Abbes Rezzig et le jeune chanteur, le patrouillard Mohamed Benchaïb qui avait une voix extraordinaire. Des chansons patriotiques et morales sont les principales activités de ce groupe, avec un orchestre de haute stature. Créateur prolifique, il fut l'auteur de nombreuses pièces théâtrales. Compositeur, metteur en scène, il se produisait souvent sur les planches et je vous assure qu'il était formidable. Ses pièces, dont les thèmes étaient essentiellement à caractère social et patriotique, suscitaient la réflexion chez la population. Parmi les nombreuses pièces qu'il a écrites, Les drames de la vie, une tragédie en quatre actes, où il dépeint la situation de notre peuple sous le joug colonial, fut un grand succès. Cette tragédie a fait pleurer plus d'un et à cela je m'en souviens, car cette pièce théâtrale fut jouée chez nous à Bordj Bou Arréridj. La population en a discuté pendant plusieurs jours dans les cafés, magasins et cercles, le sens et la portée de cette pièce théâtrale. Lors des rassemblements, camps de districts, camps de formations, le chef Si Hassen était toujours présent. Le district de Sétif était composé des groupes de Bordj Bou Arréridj, de M'sila, d'El Eulma et de Sétif. Si Hassen était un grand orateur, sa voix, quand il prenait la parole, arrivait au cœur. Je me souviens du feu de camp qu'on a organisé au stade municipal de Sétif à l'occasion du camp de district de Bou Sellam. C'était pendant les vacances de printemps avril 1945. On avait chanté une chanson contre le décret du 7 mars. Le lendemain, Si Hassen a été convoqué par la PRG qui lui soumit un interrogatoire de près d'une demi-journée. Je précise aussi que le chant Min Djibalina est l'une de ses compositions musicales. Il venait souvent à Bordj Bou Arréridj en tant que représentant commercial et il profitait de cette occasion pour nous rendre visite et la plupart du temps nous invitait mon ami chef scout, Lamri Berkane et moi-même, pour l'accompagner à son retour de tournée. On passait la journée et des fois la nuit à Sétif avec quelques responsables du groupe El Hayat, dont le chef prestigieux Abdelkader Yala, les frères Benmahmoud et d'autres, dont Saber, Rezzig, Benchaïb, le grand Doumi Lakhdar, Zaoui Bachir, Goutel... Arrêté en 1957, lors d'une grande et large opération policière organisée par le fameux DOP, il disparut et ne donna plus signe de vie. On a su par la suite qu'il succomba sous les tortures. C'était le destin de tous les grands hommes. Et Si Hassen Belkired en fait partie. Qu'Allah le Tout-Puissant ait son âme. Je n'oublierai jamais cet homme valeureux qui m'a marqué à tout jamais. Ce modèle de chef scout doit être un exemple pour nous et pour tous les SMA. Mon devoir en tant qu'ancien scout était de faire connaître ce pilier des SMA et de la révolution. Il était nécessaire de lui rendre hommage en continuant son œuvre, comme il l'a toujours souhaité.