Youghourta Bellache, maître de conférences en sciences économiques à l'université de Béjaïa pose, dans cet entretien, la problématique du développement local. Il aborde également tous les aspects à prendre en charge pour améliorer la gouvernance locale, créer de l'emploi, lutter contre l'informel, mais aussi assurer la bonne conduite des projets de développement. -Quel lien faites-vous entre la prédominance de l'informel et la problématique de l'emploi en Algérie ? La problématique de l'emploi en Algérie est à lier, d'une part, au modèle de croissance de notre économie qui est dominé par le secteur des hydrocarbures ,et d'autre part, au processus de transition économique dans lequel s'est engagé le pays depuis un certain nombre d'années. Le secteur des hydrocarbures, qui contribue à plus de 50% au PIB et 76% des recettes budgétaires de l'Etat et qui procure 98% des revenus extérieurs du pays n'emploie que 1% de la population active ! Il s'agit donc d'un secteur dont la contribution à l'emploi est insignifiante. Les autres secteurs, notamment l'industrie et le BTP, qui avaient fortement contribué à la création d'emplois par le passé et qui sont considérés comme de véritables moteurs de la croissance à long terme, contrairement aux hydrocarbures, connaissent depuis quelques années des difficultés majeures. L'industrie est même confrontée à une récession, voire une crise profonde. Ce secteur, qui a enregistré des pertes d'emplois massives durant la phase de l'application du PAS, est entré depuis dans une phase de récession. Sa contribution au PIB chute d'année en année, ainsi que sa contribution à l'emploi qui représente actuellement moins de 7% de la population active. -Justement quel a été l'impact de cette transition économique sur l'emploi ? Le processus de transition économique s'est traduit par la contraction du secteur public marchand avec des pertes massives d'emplois et par le développement du secteur privé dont la contribution à la valeur ajoutée est passée de 60% à la fin des années 1980 à près de 90% dans les années 2000. Ce secteur privé est constitué à 95% de micro-entreprises qui opèrent essentiellement dans le secteur informel (services, commerce, BTP…) Selon les données de l'ONS, plus 2/3 des employeurs et indépendants ne sont pas immatriculés au registre du commerce. Ceci intervient dans un contexte marqué par un fort accroissement de l'offre de travail, résultant à la fois d'un accroissement de la population en âge de travailler qui croit plus vite que la population totale et de la participation croissante des femmes au marché du travail. Celle-ci s'explique par l'élévation du niveau d'instruction des femmes et son corollaire, le recul de l'âge du mariage, mais aussi par la progression de la pauvreté qui pousse de plus en plus de femmes dans le secteur informel. -Le retard pris dans la prise en charge des besoins sociaux de jeunes n'est-il pas à l'origine, selon vous de cette persistance de l'informel et de ce retard dans le développement local de manière globale ? Il faut rappeler que le taux de chômage des jeunes de moins de 30 ans est de 74,4%, c'est-à-dire que le chômage touche plus de 7 jeunes sur 10. La persistance, voire l'aggravation du taux de chômage juvénile, alors que le taux de chômage global apparent est en baisse ces dernières années, atteste de l'échec patent des divers programmes et dispositifs publics dédiés à l'emploi des jeunes. Par ailleurs, il est frappant de constater que la baisse du taux de chômage global s'accompagne d'une forte augmentation de l'emploi informel mais aussi de l'emploi précaire dans le secteur formel y compris dans le secteur public. Quant aux retards enregistrés en matière de développement local, ceci est imputable à plusieurs problèmes qui ont été identifiés depuis longtemps et qui demeurent toujours non résolus faute de volonté politique. Ces problèmes sont à la fois d'ordre économique, financier, politique et institutionnel. Il y a d'abord un problème de financement du développement local, notamment à l'échelle de la commune. Ce problème réside essentiellement dans l'inadéquation entre les multiples et lourdes charges des communes dont certaines sont effectuées pour le compte de l'Etat (entretien des écoles, santé…) et les maigres moyens financiers dont elles disposent. La fiscalité locale est indigente et la majorité des communes, notamment rurales, dépendent des subventions de l'Etat pour financer tant bien que mal les services publics locaux dont elles ont la charge. Les ¾ des communes sont confrontées à un déficit financier structurel. Il s'agit surtout des communes rurales dont la majorité est issue du dernier découpage administratif (1984) qui a créé de nombreuses nouvelles communes, dépourvues d'une assise économique et donc de ressources fiscales nécessaires au financement d'actions de développement et dépendant ainsi exclusivement des subventions de l'Etat pour assurer au minimum leurs missions. A ce problème de manque de ressources, s'ajoute le sous encadrement humain des collectivités locales qui manquent cruellement de personnel qualifié aussi bien sur le plan technique qu'administratif. Le taux moyen national d'encadrement au niveau des collectivités locales ne dépasse pas 6%. Il est bien évident que ce manque d'encadrement se répercute négativement sur la gestion des collectivités locales et la conduite des projets de développement et explique dans une large mesure les retards en matière de développement local. Il y a enfin un sérieux problème de gouvernance locale. La question du développement local est fortement liée à celle de la décentralisation et à l'octroi par l'Etat de véritables prérogatives à l'échelon local et notamment au profit des élus locaux en matière de conception, d'élaboration et de conduite de projets de développement pertinents pour la collectivité, dans le cadre d'une démocratie participative impliquant la société civile. La réduction des prérogatives des élus et notamment du premier magistrat de la commune au profit des représentants de l'Etat par le nouveau code communal et l'absence d'une véritable société civile, structurée, pluraliste et réellement au service du développement local, ne sont pas de nature à permettre le développement de cette gouvernance locale, sur laquelle doit s'appuyer tout processus de développement local. Des rencontres sur le développement local se sont régulièrement tenues ces derniers mois. Il y a eu la concertation menée par le CNES en 2011, la rencontre nationale des walis et les réunions du Sud. -Cependant, la situation tarde à changer. Pourquoi, à votre avis? Ces initiatives, décidées dans l'urgence et dans le sillage des événements du « Printemps arabe» et de l'aggravation de la situation des jeunes qui commencent à s'organiser, visent surtout à atténuer les tensions et prévenir d'éventuelles explosions sociales. Le problème du chômage des jeunes est grave, il appelle de ce fait, non pas des palliatifs mais une véritable solution efficace et durable qui doit s'inscrire dans une approche plus globale, dans le cadre d'une nouvelle stratégie économique visant à sortir du modèle de l'économie rentière et à diversifier l'économie en misant sur les secteurs productifs (hors hydrocarbures) à même de générer une croissance auto entretenue et créatrice d'emplois de qualité, décents selon l'expression de l'OIT, pour résorber ainsi le chômage élevé des jeunes et notamment des diplômés. Ceci implique bien entendu des changements profonds tant sur le plan économique et social que politique et remettra ainsi en cause bien des acquis. Est-ce que le pouvoir politique est prêt à un tel changement ? En tout cas, ce changement est inéluctable, car la situation actuelle n'est plus tenable ! Alors autant le mettre en œuvre sans trop tarder et gagner ainsi du temps. -Quelle approche faudrait-il suivre selon vous dans ce cadre? L'approche à suivre en la matière doit être dictée par le diagnostic établi. La promotion du développement local a besoin d'une véritable volonté politique de l'Etat. Ceci passe par des réformes et des mesures fortes que ce dernier doit engager sans trop tarder. Sur le plan économique et financier, il y a lieu de mettre en œuvre la réforme de la fiscalité locale tant attendue et que tout le monde appelle de ses vœux. Ceci consiste concrètement en la révision de la répartition, entre l'Etat et les collectivités locales de certains impôts très rentables (comme par exemple la TVA et l'impôt sur le patrimoine) dont les taux actuels revenant aux collectivités locales sont dérisoires, pour renforcer ainsi la capacité financière des communes et leur permettre de mener à bien leurs missions au service du citoyen. L'amélioration de la fiscalité locale passe également par l'amélioration du recouvrement de l'impôt sur le territoire de la commune. L'encadrement du commerce informel, par exemple, au niveau communal par l'aménagement de structures commerciales permettra non seulement une meilleure organisation de l'activité commerciale sur le territoire de la commune mais aussi des ressources fiscales supplémentaires pour cette dernière. Un renforcement, en quantité et en qualité, de l'encadrement des collectivités locales par le recrutement de cadres, sachant qu'il existe 400 000 chômeurs diplômés dans différents domaines (urbanistes, économistes, juristes, spécialistes en aménagement du territoire et même des spécialistes en développement local issus des nouvelles filières ouvertes récemment dans certaines universités) et qui peuvent être d'un grand apport aux collectivités locales et par l'amélioration de la qualification du personnel dans le cadre de programmes de formation adaptés.