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«Le traitement de l'informel nécessite une stratégie globale et non des actions ponctuelles» Jugurtha Bellache, enseignant d'économie à l'université de Béjaïa
La Tribune : Quelle appréciation faites-vous de l'opération de lutte contre l'informel lancée récemment par les pouvoirs publics ? M. Jugurtha Bellache : Je pense qu'il s'agit plutôt d'actions ponctuelles et conjoncturelles, qui ne sont pas sous-tendues par une stratégie globale et réfléchie à même de traiter le problème efficacement et durablement, pour donner l'impression que l'Etat n'est pas absent et qu'il prend en charge ce problème, suite aux critiques de plus en plus insistantes ces derniers temps sur son recul, voire son effacement face à la prolifération sauvage et anarchique du commerce informel à travers tout le territoire national.
Le ministre du Commerce a proposé dans ce cadre de réhabiliter les marchés hebdomadaires et les marchés de proximité. Est-ce suffisant selon vous ? Ce qu'il faut souligner, c'est que le développement des marchés informels est le résultat de la conjugaison de plusieurs facteurs. D'abord ces marchés informels sont nés de l'insuffisance, voire de l'inexistence de marchés formels, structurés et réglementés. Ils répondent ainsi à une forte demande sociale émanant essentiellement des couches sociales, défavorisées en leur proposant des produits à bon marché, adaptés à leurs revenus. Ces marchés informels sont animés essentiellement par de jeunes chômeurs dont l'activité informelle constitue l'unique moyen de gagner un revenu, souvent de subsistance pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs familles dont ils ont souvent la charge. Les autres acteurs en présence sont les gros importateurs qui alimentent ces marchés informels, c'est à ceux-là que les pouvoirs publics doivent s'attaquer dans la mesure où leur activité relève de l'économie souterraine, voire criminelle. Non seulement ils privent l'Etat de ressources budgétaires importantes et exercent une concurrence déloyale aux entreprises formelles mais posent aussi un problème de santé publique dans la mesure où ils importent et commercialisent des produits contrefaits et non conformes aux normes d'hygiène et de sécurité (pièces de rechange, jouets, produits alimentaires...).Réhabiliter les marchés hebdomadaires et de proximité est nécessaire mais pas du tout suffisant ! Une autre mesure a déjà été tentée, à savoir le programme des 100 locaux commerciaux par commune dans le cadre du premier plan gouvernemental de relance économique (1999-2004). Au-delà du retard de réalisation de ces structures, cette offre s'avère très insuffisante par rapport à la demande, notamment dans les grands centres urbains. Le traitement du problème de l'informel nécessite non pas des mesures ponctuelles mais une stratégie globale comprenant plusieurs volets (fiscalité, financement, formation et information) et dont l'objectif n'est pas forcément d'endiguer les activités informelles des jeunes chômeurs et qui constituent leur unique moyen de survie mais de les amener progressivement, par des mesures incitatives à intégrer le cadre formel de l'économie. Faut-il rappeler que le taux de chômage des jeunes est deux fois plus élevé que le taux de chômage global ? Les dispositifs d'emplois dédiés aux jeunes, notamment l'Ansej, sont loin d'être efficaces, l'essentiel des emplois créés dans ce cadre ne sont pas pérennes. Le taux de mortalité des micro-entreprises créées dans le cadre de l'Ansej dépasse les 40%.
Connaissant l'état dans lequel se retrouvent les marchés de gros en Algérie, ne faudrait-il pas d'abord assainir la situation de ces marchés notamment sur le plan juridique ? La quasi-totalité des marchés de gros en Algérie sont informels dans tous les acceptions du terme ; ils ne sont pas réglementés et souffrent d'un problème d'organisation et de structuration ; ils sont de ce fait parfaitement informes, d'où la nécessité d'assainir leur situation sur le plan juridique par l'élaboration d'une réglementation appropriée ou tout simplement par l'application des réglementations déjà existantes et qui ne sont nullement appliquées ! Ceci relève du rôle de l'Etat et notamment du ministère du Commerce mais aussi des collectivités locales qui doivent s'impliquer pour organiser l'activité commerciale sur leur territoire et profiter ainsi des retombées positives de cette régulation à travers la fiscalité locale.
Selon vous, l'opération de lutte contre les marchés informels ne devrait-elle pas toucher d'autres acteurs puisque l'informel ne se limite pas uniquement aux petits vendeurs ? Souvent les petits vendeurs ne sont que le dernier maillon de la chaîne qui remonte aux gros importateurs qu'on appelle couramment les «barons de l'informel» ! Comme je l'ai évoqué plus haut, ce sont ceux-là qui alimentent le marché informel en ne respectant aucune réglementation (administrative, fiscale, sociale ou sécuritaire) en produits contrefaits et non conformes aux normes d'hygiène et de sécurité ! Je pense que c'est à ceux-là que les pouvoirs publics doivent réserver leurs actions répressives et mener ainsi une lutte implacable contre eux et à tous les niveaux ! Les petits vendeurs qui n'ont pas choisi volontairement le secteur informel doivent bénéficier de mesures d'accompagnement pour les insérer dans l'économie formelle !