Il ne se passe pas un jour sans que les murs du Vieux Rochet imprègnent de leur maussade et laconique sceau coutumier le flux ininterrompu des longues et étincelantes processions de cortèges nuptiaux. Les habitants de la ville des Ponts se remettent réellement à la fête : les longues années de braise sont passées par là. Cependant, toutes les voitures sont agrémentées à bon escient d'une plate-bande de fleurs décoratives du plus bel effet : couronne de bégonias géantes, au « beffroi » rouge vif, saumon ou jaune fluorescent, trônant telle une diva au charme fascinant au beau milieu d'une calandre savamment astiquée à coups de produit corrosif, mais qui peut se métamorphoser sur-le-champ en une prima donna effarouchée si, par inadvertance, on venait palper, même subrepticement, son parterre fleuri et attrayant. Pour le meilleur et pour le pire Des ornements de fleurettes captivants, de boutons de rose, de tulipe ou de lilas de couleur fauve viennent ensuite ceinturer toute la caisse, enjoliveurs compris. Et tant pis, une fois la mariée débarquée à bon port et les lampions des festivités irrémédiablement éteints, si la tôle en prend un sacré coup à la suite du décollement inattentionné des bouts d'un adhésif revêche qui font figure dans ce cas-là d'attaches temporaires. Coups de klaxon tonitruants, décibels tapageurs d'une mégachaîne hi-fi incorporée branchée à fond la caisse, youyous stridents d'une gent féminine n'éprouvant guère la moindre envie de se retenir et encore moins le désir de ne pas s'afficher ouvertement devant un public de passants curieux à souhait, course effrénée dans les dédales des artères de la cité en vue de squatter les devants de la procession, heurts, collisions, téléscopages et énervements de toutes sortes, débouchant parfois sur des rixes généralisées, viennent égrener le long et laborieux chapelet d'une fastidieuse litanie événementielle. Cet été, si l'on disposait d'un festival des plus flamboyants cortèges nuptiaux, l'on attribuerait à l'unanimité, et sans conteste aucun, la palme d'or à celui qui a défrayé la chronique locale tout récemment : la parade d'une file (il y en avait 16 exactement) de Mercedes-Benz à caisse basse, plus connues sous le vocable populaire de « Phantom », toutes immatriculées dans les départements français des Bouches du Rhône et de ceux limitrophes, PACA (Provence-Alpes-Côte-d'Azur). Ce qui a fait dire à un passant inspiré, qui est demeuré absolument admiratif devant « tant de voitures scintillantes », au niveau de la cité Ameziane : « Le cortège présidentiel de Abdelaziz Bouteflika en personne ne ferait pas mieux ! » Le prix spécial du jury irait, quant à lui, à ce défilé mixte, si l'on ose dire, composé d'une huitaine de Golf dernière génération et de six 4x4 de marque Toyota exceptionnellement rutilants. Mais le prix du cœur, de l'affabilité, de l'affection, de la ferveur et de l'amour réunis est attribué, selon nous, à ce cortège nuptial hautement original et insolite qui a réuni, il y a quelque temps à la cité Boussouf, un couple de jeunes amoureux dans les dorures cuivrées de la cabine d'une calèche irrésistiblement pittoresque avec un magnifique cheval de type Alezan d'un bai captivant. Ou bien encore, pour ceux dont le terrain de prédilection reste les rues et les ruelles étroites de la Médina, à Souika, Sidi Djellis et Saeda notamment, et où l'on continue à accompagner la mariée d'une « Hadoua » (littéralement, troubadours) tout au long du parcours menant au domicile de l'heureux élu et qui est parsemé d'eau de fleur d'oranger mélangée à une mixture composée de blanc d'œuf, de sel et de grains de pavot, « afin de conjurer le mauvais œil toujours aux auguets en pareille circonstance », dixit une marieuse professionnelle bien connue des initiés de la vieille ville.