Seule la France est en mesure de donner un point exact de la situation au Tchad une dizaine de jours après l'attaque rebelle qui avait pris en tenailles la capitale N'Djamena et menacé sérieusement le régime en place depuis 1990 de Driss Deby. Les armes se sont tues, mais en apparence seulement, car des situations sont très difficiles, voire impossibles à appréhender en temps réel. Ce qui renvoie alors aux moyens dont la France dispose dans ce pays et grâce auxquels l'attaque a été mise en échec. Il s'agit principalement de la maîtrise du ciel et donc du renseignement, ce qui d'ailleurs a valu à Paris, une accusation de complicité avec le régime en place et alors même qu'elle refuse de recevoir une délégation rebelle qui avait pris soin de formuler préalablement une demande d'audience. La « résistance unie », réunissant le Mouvement pour la démocratie et la justice au Tchad (MDJT) et le Front uni pour le changement (FUC), précisent que le but de l'audience serait de « connaître le rôle exact de l'armée française à N'Djamena », d'« obtenir des explications sur les tirs dont ont été la cible, jeudi dernier, nos colonnes, de la part de Mirage F1 français » et de « prendre des mesures conjointes pour éviter le risque d'une confrontation entre la résistance populaire et les troupes françaises ». « Nous ne pouvons que déplorer une telle prise de position », a déclaré le représentant du FUC en France, Laona Gong, après l'annonce du refus français. « N'eut été l'intervention française, nous serions en position d'être au pouvoir », a-t-il ajouté, en affirmant que le FUC était « une réalité incontournable ». La France est venue en aide à plusieurs reprises cette semaine au régime du président Deby qui s'est félicité du soutien apporté par l'armée française. C'est dans un tel contexte que se prépare le scrutin présidentiel du 3 mai comme si de rien n'était, mais les bruits de bottes restent perceptibles dans l'Est et les Tchadiens redoutent de nouvelles attaques. Dans les rues de la capitale tchadienne, affiches et banderoles appellent à réélire « dès le premier tour » le président Idriss Deby Itno, arrivé au pouvoir par la force en 1990, élu en 1996, réélu en 2001 et autorisé l'an dernier à briguer un troisième mandat par une révision constitutionnelle contestée. Une farce se pliait-on à dire, car tout est fait pour que Driss Deby obtienne son troisième mandat. Des bureaux de soutien au président-candidat ont fleuri partout en ville et les drapeaux de son parti, le Mouvement patriotique du salut (MPS), arborant un fusil, côtoient les slogans favorables à « Idriss Deby l'homme de paix ». En revanche, les autres candidats - trois alliés du MPS et un quatrième peu connu du public - restent quasiment invisibles. Les autorités tiennent à montrer que le calme est revenu sur l'ensemble du territoire après les attaques rebelles du Front uni pour le changement (Fuc) le 13 avril contre N'Djamena et Adré, dans l'extrême est du Tchad. Le maintien coûte que coûte de l'élection est la preuve de l'« entêtement » du pouvoir, selon l'opposition qui a décidé de longue date de boycotter un scrutin qu'elle considère frauduleux. Signe d'un certain retour à la normale sur le terrain, les 150 militaires français, qui étaient venus renforcer depuis le Gabon les 1200 soldats déployés en permanence au Tchad, ont regagné Libreville. L'accalmie demeure toutefois relative. Selon des observateurs internationaux, des mouvements militaires ont été rapportés ces derniers jours de part et d'autre de la frontière entre le Tchad et le Soudan. Et les rebelles du Fuc, soutenus par Khartoum selon N'Djamena et de nombreux observateurs, ont eux-mêmes promis de « tout faire pour empêcher la tenue de l'élection ». Dans l'attente d'une éventuelle nouvelle attaque que les N'Djamenois jugent probable et à laquelle les autorités tchadiennes disent se préparer, la crise s'est déplacée sur le terrain diplomatique. Une mission d'information de l'Union africaine (UA) chargée de faire la lumière sur l'attaque rebelle est à N'Djamena depuis vendredi. Samedi, elle a pu voir les armes et le matériel du Fuc saisis par l'armée et rendre visite aux 320 prisonniers de guerre détenus dans la capitale. La délégation panafricaine doit rencontrer le président Deby, qui avait accusé la semaine dernière l'UA de faire la « politique de l'autruche » et de ne pas dénoncer l'implication soudanaise. Parallèlement, le sous-secrétaire d'Etat américain aux Affaires africaines Donald Yamamoto était attendu hier pour une visite de deux jours à N'Djamena, afin de trouver un compromis dans le conflit qui oppose la Banque mondiale (BM) au Tchad sur la gestion de ses ressources pétrolières. Selon l'ambassade des Etats-Unis, l'émissaire américain doit y rencontrer le chef de l'Etat, qui a menacé de fermer fin avril les vannes du brut de Doba, dans le sud du pays, si la médiation américaine échouait et la BM ne débloquait pas les pétrodollars tchadiens qu'elle a gelés. Au-delà de toutes ces considérations, le Tchad fait face à un de ces conflits auxquels il est malheureusement habitué depuis son indépendance. Mais cette fois, le régime en place est attaqué de l'intérieur, par son propre clan comme on le dit. Pour quand alors la paix ?