Rabih Abou Khalil, célèbre compositeur et joueur de oud d'origine libanaise, est l'un des plus illustres musiciens du jazz oriental de la scène mondiale actuelle. Constantine De notre envoyé spécial
Même si cet artiste n'aime pas être « classé » dans « un style » musical, Rabih Abou Khalil revendique l'ouverture et l'émotion dans les compositions. Sans limites. Dimanche soir, il a émerveillé le public du 11 ème Festival international du jazz, Dima jazz, de Constantine. Et encore, émerveiller est un mot assez peu expressif. Le concert était dense, profond, varié et contemporain. Le tuba, le saxophone, la guitare, la batterie et l'oud jouent ensemble, pas de domination de l'un sur les autres. C'est l'harmonie dans le sens vrai, le sens généreux, complexe et simple à la fois. La sagesse et la sensibilité de Rabih Abou Khalil sont rassemblées dans un nectar mélodique d'une rare perfection. Tantôt aérien, tantôt terrien, l'air que diffuse l'artiste libanais avec ses musiciens est tout simplement revigorant. Le jeu est d'un dynamisme époustouflant. Crédit Photo : Souhil Baghdadi
A l'écoute, la musique est colorée, vivante, presque en renouvellement sur scène. Et puis, arrivent comme sur un nuage d'or des senteurs du Cham, de Turquie, d'Iran, du Maghreb, d'Orient lointain, du jazz...Rabih Abou Khalil, qui a fuit la guerre civile de son Liban natale dans les années 1970, poétise les rapports entre les cultures, l'exprime avec conviction. Sa ligne d'attaque ? Les notes bien arrangées. Cela ne l'empêche pas de se moquer quelque peu du « monde civilisé » provoquant des rires dans la salle. Parlant de son percussionniste américain Jarrod Cagwin (qui enseigne aujourd'hui à Istanbul), Rabih Abou Khalil a eu cette réflexion : « les américains se sont depuis le Moyen Âge intéressés à la culture arabe. Ils ont effectué plusieurs voyages pour la découvrir. Dernièrement, ils sont partis en Irak. Ils n'ont rien compris, mais bon, ils auront tenté l'expérience ». Crédit Photo : Souhil Baghdadi
Evoquant son saxophoniste italien, Gavino Murgia, il a ajouté : « il aurait pu être archevêque ! Il est parti en Afghanistan pour chanter « Hallelujah » ! ça n'a pas marché ». Et présentant son joueur de tuba et guitariste français Michel Godard, il a préféré parler des allemands :« ils adorent le son du tuba, ça les touche tellement qu'ils en pleurent. Mieux, ils arrivent même à danser au son du tuba. C'est une danse à ne pas voir ! ». Rabih Abou Khalil s'inspire de tout, sans complexe. Pas forcément de différence entre le moderne et le traditionnel. « Lobotomie » est, par exemple, une morceau inspiré des « poèmes neurologiques » lus aux Etats Unis. Il s'agit en fait des livres scientifiques de son frère médecin neurologue établi aux USA. « fish and Chips» est une autre composition dédiée au célèbre plat anglais. « Je suis le premier à rendre hommage à la nourriture anglaise ! », a-t-il reconnu. Puisant toujours dans un humour vif, Rabih Abou Khalil a suscité une explosion de rires en présentant une chanson d'amour. «C'est écrit pour une femme particulière. Je dis : Si tu me quittes...il faut que je trouve une autre ! ». Et, bien entendu, le compositeur, qui vit actuellement en Allemagne, n'a pas oublié les souffrances de la guerre. « Dreams of a dying city » (Rêve d'une ville qui meurt) a été écrit durant la guerre civile libanaise.« Aujourd'hui, d'autres villes vivent le drame », a-t-il dit en allusion à la Syrie. Il a rendu hommage à « la ville des arts » qui est Constantine. « Le public d'ici est merveilleux. Il nous a beaucoup aidé. Pour nous, le public est un autre musicien qui fait partie de l'ensemble. Pour moi, la musique n'est pas style, c'est une expression émotionnelle. Je ne sais pas si ma musique a un nom, mais je ne connais pas de musique qui lui ressemble !», a déclaré Rabih Abou Khalil lors de la conférence de presse qui a suivi son concert.
Il a confié que ses sources d'inspiration sont toutes les musiques du monde surtout celles des pays arabes. « Les arabes devraient s'intéresser plus à leurs rythmes, airs et maqamat. C'est une région riche en sonorités musicales. Il faut prendre soin de les découvrir davantage au lieu de chercher ailleurs », a-t-il noté précisant que la musique arabe est bâtie sur le chant. A cinq ans déjà, Rabih Khalil jouait déjà l'oud à Beyrouth avant d'apprendre la flûte traversière en Allemagne. « L'oud, pour moi, a la même importance que la main. Mais, je ne fais pas des compositions pour l'oud, c'est un instrument comme les autres. Quand, je compose je le fais pour un ensemble d'instruments. C'est spontané, chez moi. Je ne pense pas nécessairement à mélanger telle ou telle musique. Je me suis intéressé au jazz car les musiciens de ce genre mélodique sont plus ouverts sur le monde que ceux qui puisent dans le répertoire classique, limités dans leur visions», a confié Rabih Abou Khalil. Depuis 1984, Rabih Abou Khalil, qui a côtoyé des musiciens tels que Charlie Mariano, Joachim Kühn ou Glen Velez, a produit une vingtaine d'albums dont « Nafas », « Between dusk and dawn », « Blue camel » et « Hungry people ». Ce dernier album, sorti en 2012, rappelle la souffrance des gens qui ont faim...On a tendance à oublier les gens qui ne trouvent pas de quoi manger !