«Beau théâtre. Bon piano.» Le concert devait être plus jazzy avec la présence du saxophoniste Steve Grossman en compagnie du pianiste italien Andrea Pozza. Mais l'acolyte «blanc» de Miles Davis a eu un empêchement majeur et n'a pu donc se présenter à Constantine pour le compte de la 11e édition du Festival international du jazz de Constantine, Dimajazz. Ce qui a chamboulé la soirée. Mais quel bel «renversement» même s'il s'avère bluesy ! Un récital piano purement jazz a subjugué les mélomanes au sein de l'Odéon. «Steve Grossman m'a appelé pour me faire part de son incapacité d'être ici en raison d'un accident à la main. C'est dommage !», dira le pianiste italien à l'assistance. Il a interprété quelques-unes de ses compositions et explorera d'autres formes émanant d'autres artistes. Mais ça ne sera pas de l'improvisation forcée pour pallier à un imprévu de dernier moment. Les grands artistes sont préparés aux éventuels changements de programme. C'est en quelque sorte les latitudes qu'offre la musique avec son monde sans frontière. Une ambiance sympathique, «pianissimo» parfois, a plongé l'espace dans un calme musical agréable après les deux soirées énergiques. Les premières notes révèlent George Gershwin, qui sera entrecoupé par une composition de Pozza intitulée Estate. La suite sera une exploration d'autres répertoires du jazz. Blue Monk, morceau préféré de son auteur Thelnonius Monk, mettra du rythme sur le plateau. Surfant sur plusieurs styles, Andrea Pozza reviendra encore à Gershwin avec Summertime. Le public répond par des applaudissements à la fréquence des tonalités dégagées par l'instrument. Méditation jazzy. C'est le propre de la prestation d'Andrea qui se produit en Algérie pour la première fois. «J'utilise d'autres modes pour enrichir cette musique comme elle devait sonner en cette époque. Mes influences sont multiples et chaque compositeur a sa place dans mon univers. C'est à partir de là que je compose tout en me gardant des imitations excessives. Chacun doit apporter sa propre touche pour sortir du commun et s'identifier», nous confie le pianiste. S'agissant de son éventuel penchant pour G. Gershwin pour composer, Andrea Pozza affirmera qu'«on ne peut pas se limiter à l'application des genres et styles écrits. Il y a une centaine d'années pour en faire des compositions du temps. Au départ de ma carrière, Bill Evans m'inspirait beaucoup, mais en progressant il faut chercher son propre style. Il faut innover. Personnellement je ‘‘sing'' une mélodie qui me parvient à l'esprit et après je gravite autour en lui greffant des harmonies, des improvisations,… Le jazz transmet le feeling du moment. J'essaye d'être dans ce moment-là. Si j'éprouve de l'amour ou de la tristesse j'essayerais de les mettre dans ma musique. C'est individuel». Andrea Pozza a concocté neuf opus «solo». Constantine pourrait-elle l'inspirer un jour ? «C'est une belle ville. Ses ponts constituent une source d'inspiration certaine…», répondra-t-il.
Rabî Abou Khalil, une «décharge» musicale émotionnelle Changement de style en seconde partie de la soirée. Le libanais Rabî Abou Khalil avec son Quartet méditerranéen a fait découvrir au public son monde musical inspiré de toutes les musiques arabes. Virtuose de l'oûd, il laissera ses émotions se propager avec la complicité de ses musiciens venus de divers horizons européens. Gavino Murgia, le saxophoniste qui s'adonnait à des airs vocaux lointains, Michel Godard, bassiste et joueur de tuba, et l'étincelant batteur et aussi adepte du bendir, Jarrod Cagwin, renversaient et arrangeaient chaque thème en rythme et mélodie. Plein d'humour sur scène, il taquinait même sa formation. Mais leur offrant toute latitude de dévoiler leurs prouesses instrumentales. Il a évoqué le bilan à travers un mélancolique morceau intitulé Dream of dark city, chanté l'amour avec Si tu me quittes…je vais trouver un autre !! - «non», dira-t-il en fin de spectacle pour démentir la menace ironique-, fish and ships,… En fait, l'artiste se livre à des expressions qui, selon lui, constituent le fondement même de cet art. «La musique n'est pas un style. C'est une expression émotionnelle. Ce qui importe ce sont les notes qui s'en dégagent et sont perçues par le public», soutient Rabî, avouant ne pouvoir donner un «nom» à sa musique dès lors qu'aucune musique ne lui ressemble. La richesse de ses compositions a trouvé ses sources dans l'impressionnant répertoire arabe. «J'ai eu la chance d'avoir écouté beaucoup de musiques du genre. J'ai constaté que chaque pays du monde arabe se limite à son propre patrimoine sans s'intéresser autres proches du sien», a-t-il confié. Conçue, voire dominé, initialement par le chant, la musique arabe a pu se libérer pour faire retentir son autre aspect instrumental. Questionné sur son parcours jazz, le Libanais révèle que son entrée dans cet univers s'est faite sans «préalables». «Cette expérience m'a permis de découvrir des musiciens plus ouverts à toutes les musiques. Ma musique est complexe de par les rythmes, mais j'essaye de la rendre perceptible. J'aime que le public la ressente légère sans s'apercevoir de la complicité de la jouer», indiquera-t-il. Au final, le public a eu droit à un groupe plein de mordant qui a marqué «magistralement» son passage au DimaJazz. La soirée d'hier devait connaitre la production de Chemerani's guest Kheireddine M'kakche et Stephane Galland. N. H.