Il faut 100 ans pour qu'un arbre tout juste planté arrive à l'état adulte. Une vie. Autant dire que lorsque nous plantons un arbre, c'est la génération suivante qui en profitera. Il faut quelques minutes à l'entreprise pour créer un sachet en plastique. Mais il lui faut environ 400 années pour se dégrader. Autant dire que pour un sachet en plastique jeté aujourd'hui, ce sont des milliers de générations qui pourront en profiter. L'exemple est donné à la forêt de Bouchaoui à 25 km d'Alger. En cette période printanière qui invite à la balade, la forêt est particulièrement prisée par les citadins. Des citadins transformés, le temps d'un week-end, en forestier. 156 ha d'arbres et arbustes. 156 ha de végétation. 156 ha de verdure et de chlorophylle. « Du silence » à perte de vue. Les pins, dont les épines nouvellement tombées offrent un tapis arrosé d'odeur, s'échinent à grimper à hauteur du soleil. Un soleil dont la lumière est jalousement retenue par le feuillage des arbres touffus. Bouchaoui, digne des forêts méditerranéennes, assume ses différences. Conifère à outrance, Bouchaoui n'a rien de la forêt majestueuse des espaces canadiens ni de la posture des forêts amazoniennes. Fidèle à son image et à ses origines, Bouchaoui ne connaît pas l'alliance de la plante et de l'arbre mais allie rigueur de la roche et racine impétueuse. La terre n'a pas besoin d'être moelleuse et aérée pour recevoir la vie, Bouchaoui en est la preuve. C'est sur un sol aride et mouvant que la végétation s'est installée. Bouchaoui est la preuve que quand nature veut, Dieu veut ou inversement. Pourtant, en ce samedi matin, c'est compter sans la mainmise de l'homme. L'imposteur : le sacheten plastique Bouchaoui, après s'être faite hospitalière le week-end, doit composer avec un hôte peu désirable et quelque peu envahissant : le sachet en plastique. « Nous avons pas moins de 5000 familles qui viennent profiter des avantages de la forêt le week-end. C'est presque autant de détritus en tout genre. Du coup, nous passons les journées de samedi et dimanche à nettoyer », explique le chef de circonscription de la forêt Mustapha Bouhali. La forêt est répartie en plusieurs cantons dénommés Barroudi ou encore le village noir. Certains, parce que plus accessibles au public et plus sécurisés, sont le théâtre de dégradation en tout genre. « Les gens doivent faire preuve de plus de civisme. Ils parcourent des kilomètres, supportent les embouteillages durant des heures pour pouvoir venir à la forêt. Et paradoxalement, l'effort le plus facile qui consiste à jeter les ordures dans la benne la plus proche semble leur être particulièrement pénible », reprend M. Bouhali. Pourtant, ce ne sont pas les campagnes de sensibilisation qui manquent. L'année dernière, les responsables avaient pris le parti de distribuer un sachet en plastique à l'entrée de la forêt à chaque famille qui se présentait. « Il y a eu des sourires de connivence, des mots de soutien, de la compréhension. C'est vrai que le message se voulait clair mais pas insultant », commente le chef de circonscription. La plupart des visiteurs qui se sont vu proposer des sachets en plastique pour jeter leurs ordures ont mal pris le geste et ont parfois malmené les agents. « On peut trouver toutes sortes d'ordures. Des sachets en plastique, des bouteilles de soda, des briques de jus ou bien de la nourriture comme la peau d'une cuisse de poulet », raconte un jeune serveur d'une cafétéria de Bouchaoui. Sur place depuis 11 ans, il affirme avoir vu de tout. « Chaque samedi matin, tout le monde s'attelle à nettoyer. Jusqu'au mégot de cigarette », continue-t-il adossé au bar de la cafétéria. Située à un embranchement, la cafétéria promet détente et nourriture. L'entrée est jalonnée de pots de fleurs aux couleurs flamboyantes. L'eau de la fontaine clapote et fait écho au piaillement des oiseaux. Le ménage est fini mais un sachet qui roule au rythme du vent, comme une boule de paille, trahit des événements récents. « Il faut venir le mercredi à 16 h et voir dans quel état nous mettons Bouchaoui à la disposition du visiteur. Il faut revenir le samedi matin quand la forêt ressemble à la décharge publique de Oued Smar puis le dimanche en fin de journée pour vous rendre compte de la somme de travail que nous accomplissons », s'indigne M. Bouhali. Une équipe de 10 ouvriers a pour charge de nettoyer la forêt mais face au manque de main-d'œuvre et surtout à la quantité de déchets, les gardes forestiers sont de la partie pour redonner un autre visage à Bouchaoui. L'amour ou les contraventions Une anecdote racontée par le chef de la circonscription fait office de résumé biblique : « Une famille était placée en retrait et semblait pique-niquer. Au moment de leur départ, comme ils avaient tout laissé derrière eux, un garde forestier demande que la place soit nettoyée. Plutôt que de s'excuser, le chef de famille a molesté le garde forestier et lui a asséné le sempiternel "tu n'as vu que moi. Pourquoi tu ne demandes rien aux autres". » La forêt ne connaît pas de répit, le printemps, l'été mais également l'hiver lorsque des groupes de joggeurs s'adonnent à leur passion en laissant traîner quelques effets. « Il existe un moment charnier où la forêt se repose enfin. Le Ramadhan », commente M. Bouhali. Alors que les citadins jeûnent, c'est à un autre type de jeûne que la forêt s'adonne. C'est durant ce mois sacré que la forêt redevient elle-même. Plus qu'une diète d'individus, c'est une purge de sachets en plastique. « Nous voulons sensibiliser la population. Les gens doivent avoir une attitude citoyenne en préservant leur environnement d'une pollution quelconque », explique le chef de circonscription. Quelle autre solution ? La politique du bâton serait-elle efficace ? De l'avis de M. Bouhali, sévir en administrant des contraventions aux personnes peu respectueuses de la forêt serait peut-être excessif. Son ambition est de faire aimer la forêt.