Son regard s'impose à l'affiche de Zéro, le dernier film de Noureddine Lakhmari. Younès Bouab a décroché le prix de l'interprétation masculine au 19e Festival international du cinéma méditerranéen de Tétouan, au Maroc, alors que Zéro a obtenu le prix spécial du jury. - Vous aviez sûrement vu Casanegra de Noureddine Lakhmari. Comment avez-vous trouvé cette fiction que le public maghrébin a beaucoup appréciée ?
Un film magnifique ! En plus du courage, il y avait de la sincérité et de l'honnêteté dans ce film. Un long métrage bien fait et bien interprété par les acteurs (Omar Lotfi, Anas El Baz, Ghita Tazi et Mohamed Benbrahim, ndlr).
- Pensez-vous que vous alliez tourner un jour avec Noureddine Lakhmari ?
Jamais ! A cette époque-là (2008), j'écrivais des scenarii pour la télévision. Je revenais quelque peu vers la comédie. Mon frère, Assaad Bouab, est un comédien connu au Maroc. Je travaillais à l'Ecole supérieure des arts visuels de Marrakech. J'encadrais les étudiants en première année. Noureddine Lakhmari est venu à la faveur de l'organisation, par cette école, des Journées professionnelles du cinéma et on s'est rencontré. Noureddine est originaire de Assafi, la ville de mon père. On a passé deux jours à parler de cinéma et à rigoler. Huit ans après, il m'a contacté pour un casting !
- Et quand vous aviez lu le scénario de Zéro…
J'ai adoré l'histoire, bien écrite. Il y a un personnage qui se dégage. Une one line story, pas de scènes si ce personnage n'est pas là. J'étais donc dans tout le film. J'aime bien les personnages noirs et torturés. Je me suis battu pour avoir ce rôle.
- Comment vous êtes-vous adapté à Zéro, ce looser de la grande cité ? A l'œil nu, il est aux antipodes de votre personnalité ?
C'est vrai, ce n'est pas du tout moi ! J'ai cherché dans la relation père/fils : Amine avait une relation conflictuelle avec son père, il fallait chercher là-dedans. Je suis natif d'un milieu social différent de celui du personnage de Zéro. Je me suis baladé un peu dans les bas-fonds de Casablanca, cherché, regardé les gens, posé des questions, vu comment les gens parlaient... Je voulais sentir un peu plus la ville. Moi, je suis de Rabat. J'ai donc habité à Casablanca pour mieux plonger dans la métropole. De plus, la langue dialectale était une difficulté pour moi. Je suis francophone, j'ai beaucoup travaillé la langue pour être à l'aise pendant le tournage, pouvoir improviser un peu, faire ce que je veux. Il fallait aussi que je m'adapte aux sentiments durs. C'était difficile, mais au tournage je me suis un peu libéré. Lors de la scène de la mort du père, j'ai fait une improvisation, suis devenu fou, commencé à pleurer.
- D'où vient la démarche un peu chancelante de Zéro ?
Noureddine voulait que je marche en balançant un peu, nonchalant. Il voulait peut-être donner un côté séduisant au personnage. Je portais des bottes lourdes. Zéro devait marcher comme s'il avait le poids du monde sur lui. Il doit «tourner» à gauche et à droite pour avancer.
- Vous avez joué avec le regretté Mohamed Majd (décédé à Casablanca en janvier 2013)…
C'était extraordinaire d'être à ses côtés. Je n'avais presque pas besoin de jouer. C'était ma deuxième expérience au cinéma. Mohamed Majd (qui a joué notamment dans Indigènes de Rachid Bouchareb, ndlr) était comme un père pour moi au tournage. Dans la scène, il commençait à m'insulter et j'étais déjà complètement dans le jeu. Nous avons passé une douzaine de jours à tourner. Des jours vite passés.
- Une partie de la presse marocaine a critiqué le langage fleuri du film Zéro…
C'est un faux débat, un manque d'ouverture. Dans le cinéma, il faut être libre et sincère. Quand on est énervé dans une scène, on ne va pas parler avec douceur ou gentillesse. On n'agresse pas les gens, car ce n'est pas la télévision, c'est un film projeté en salle. Les gens ne sont pas obligés de venir le voir. Ils sont libres. Zéro parle comme on le fait dans la rue, tous les jours. Son père ne l'aime pas, l'insulte. Nous ne nous pouvions pas édulcorer le langage, l'histoire est comme ça, ainsi faite.
- Dans Zéro, Casablanca n'apparaît pas comme dans Casanegra. Mais la ville est-elle comme ça !
Je n'ai pas le même point de vue que Noureddine sur Casablanca. Pour moi, c'est une fiction. Ce n'est pas une réalité copiée. Il y a peut-être des traits exagérés, mais il s'agit de techniques dramatiques. Il y a du Casanegra et du Casablanca, côté noir, côté blanc. Dans la rue, il y a des prostitués et des gens pourris. Mais il y a également des endroits sympathiques à Casablanca, un peu de tout. Le Maroc n'est pas comme ça, n'est pas vulgaire, violent ou cru.
- Nous l'avons constaté ici à Tétouan, le public, surtout les jeunes, a entièrement adhéré à l'histoire de Zéro.
Les gens s'identifient quelque peu à l'histoire. Et Noureddine est très fort lorsqu'il s'agit d'intéresser le public. La scène est d'abord comique, puis finit dans le drame. C'est très accrocheur.
- Parlez-nous de votre première expérience cinématographique dans Tariq ila Kaboul (la route vers Kaboul, de Brahim Chkiri) aux côtés notamment de Rabie Kati, Aziz Dadas, Boubker Rafik et Saïd Bey.
Ce film à faible budget a eu beaucoup de succès au Maroc. Nous avons tourné à Tan Tan, dans le Sud-Ouest marocain. Cinq semaines difficiles (il faisait à 48 °C à l'ombre) mais sympathiques. On s'est bien amusés en groupe !
- Comment est le travail de Lakhmari au tournage ?
J'ai beaucoup de respect pour lui. Il y avait un rapport metteur en scène-comédien. Nous avons aussi un rapport amical. Il est fort avec ses acteurs, sait bien les gérer. Il les protège, les chouchoute, fait un peu la mère, un peu le père. Lorsqu'il engueule l'acteur, il a raison. Une manière de pousser le comédien à donner plus. Vu ma timidité, j'ai eu du mal à jouer dans les scènes où il y a beaucoup de figurants. Il y a eu aussi une scène avec Mohamed Madjd où je n'ai pas réussi à «entrer» dans le jeu. J'ai trouvé de l'aide !
- Après le montage, lorsque vous avez découvert le film à l'écran, comment avez-vous réagi ?
J'ai découvert le film lors du Festival international de Marrakech (décembre 2012). C'était émouvant mais aussi difficile de découvrir le film en présence du public. Mes parents étaient là. J'avoue que c'était compliqué. Après, j'ai revu le film tranquillement. Je ne vais pas dire que j'aime, mais je suis content de ce que nous avons fait. Je vais bientôt tourner un film avec le cinéaste marocain Mourad El Khaoudi. Un long métrage qui s'intitule Formatage (genre thriller) où j'aurais un petit rôle intéressant.
- Vous écrivez des scenarii pour la télévision également…
J'écrivais des scenarii pour des séries télévisées par le passé. Là, j'ai opté pour le cinéma. Si je peux écrire et jouer, ce serait merveilleux. J'ai deux ou trois idées de scénario. J'ai du mal à allier les deux, jeu et écriture. Actuellement, je pense que le 7e art marocain se cherche toujours. Nous avons des moments de cinéma, des petites fulgurances. Ce n'était pas comme cela il y a dix ou vingt ans… Il n'y avait pas autant de projets. On avance petit à petit. Nous sommes sur la voie du cinéma et de la sincérité. Pour faire du cinéma, il faut être sincère.