«La société arabe souffre d'un réel complexe vis-à-vis du sexe», dira le réalisateur Khaled Youssef à l'égard de ses détracteurs lors du débat. En programmant les deux films les plus virulents et violents de la compétition, les organisateurs ont évité le pire mardi dernier. Dukan Shahata, du réalisateur égyptien Khaled Youssef, a failli tourner au vinaigre au moment du débat. Une débâcle évitée de justesse. Quoique pas trop évité, ce film a provoqué un grand remou dans la salle. Un drôle de quiproquo. Une fille au hidjab s'approche du réalisateur dans ce grand tohu-bohu et lui demande de faire éloigner les caméras. Chose qu'il refuse. Soit. Elle lui révèle quand même une chose: «Je suis la dernière prophète, j'ai été mandatée par Dieu...» Pour dire quoi? Nous ne le saurons jamais puisqu'elle est vite «accueillie» et détournée par les agents de sécurité et renvoyée par la police hors de la salle illico presto. Cette femme complètement «allumée» est la goutte qui a fait déborder le vase au milieu de ce tumulte et cette cacophonie. Même les journalistes sont restés bouche bée. Drôle de scène à laquelle nous avons assisté. Mais une journaliste arrive à ouvrir le bal des questions,(nous-mêmes) au moment où le réalisateur et ses deux comédiens s'apprêtaient à partir. Dukan Chahata c'est l'histoire triste d'un homme subissant toute forme d'injustice de la part de son entourage, jusqu'aux pires humiliations. Un jardinier ouvre un magasin de fruits et légumes et lui donne le nom de Shehata. Ce dernier est ployé sous l'influence de ses frères et de leur mauvais traitement car ils le jalousent. Le film passe par mille drames. Shehata se fera éloigné de son amour et jeté en prison. Sa belle se fera marier de force à un de ses frères. Au sortir de prison, au lieu de se venger, Shehata n'a qu'une seule idée, revoir ses frères qui lui ont manqué. Endurci, Shehata sait rendre aujourd'hui le coup et effacer ses larmes. La mort de son père l'a rendu homme. Des scènes de violence principalement liées au viol ont choqué plus d'un et ont constitué une partie des questionnements du public au débat. Le réalisateur a affirmé pour se justifier que ces scènes montrent la réalité de la société arabe qui semble souffrir d'un complexe envers le sexe. «Ces séquences de violences sont nécessaires pour témoigner de la veulerie, la lâcheté et cruauté de l'homme arabe. La société arabe est pourrie, corrompue, obtuse et sclérosée. Si mon propos dans le film est parfois excessif, c'est justement pour vous dire faites attention» si l'on finit par tuer la bonté chez l'être humain, et en chacun de nous, on risque d'arriver à la pire situation et catastrophe dans la vie...En effet, le meurtre de Shehata à la fin du film est suivi d'une descente aux enfers. Une véritable descente punitive dans les rues par des hommes barbus qui se feront justice eux-mêmes au nom de Dieu et faire propager la terreur et l'obscurantisme. Un film fort, au message clair et audacieux, malgré son contenu qui paraît pourtant léger et superficiel, d'autant plus que la comédienne Haifa wahbi, une chanteuse libanaise, fera distraire le public par ses mimiques naïves et éblouir plus d'un par sa beauté provocante. Dukan Shahata s'est illustré à la fin en faisant pousser le bouchon du cinéma arabe au paroxysme en voulant dénoncer le jusqu'auboutisme. Audacieux. L'autre film qui se distingue des autres présentés jusqu'à présent est Casanegra du marocain Nour-Eddine Lakhmari. L'authenticité des rues marocaines sert de toile de fond à cette histoire de défi et d'amitié. Deux amis de 23 ans, Adil et Karim, sont de petits gangsters à leur façon dans le beau Casablanca. Karim emploie des enfants pour vendre des cigarettes et décide de redresser sa vie afin de gagner le respect et réussir. Adil a trouvé une solution miracle à tous ses problèmes et rêve de trouver le paradis. Leurs décisions et leurs rêves sont remis en cause par la réalité subite lorsqu'une femme apparaît dans leur vie, l'une est la mère, l'autre, une belle antiquaire. Adil refuse que son beau-père frappe encore sa mère, Karim veut à tout prix plaire à cette belle femme des quartiers chics. Film rocambolesque, au phrasé cru et décomplexé, Casanegra a suscité le chahut dans la salle. Il a été constamment hué à cause aussi de certaines scènes «chaudes» pas toujours vues dans le cinéma arabe. Ou très peu. Le film est autant violent dans le propos et dans la manière de poser la caméra, de façon brutale, frontale et saccadée. Le rythme du film épouse parfaitement son contenu tantôt dévasté, tantôt mélancolique. La nuit est criarde, honteusement blafarde, sonore, maculée de sang, d'argent et d'alcool. Casanegra pue la délinquance, la pauvreté et l'injustice sociale envers ses petites gens. Un film bizarre mais singulier, vif et détonant. Qui fouette! Casanegra se veut porteur d'une vision cinématographique nouvelle du monde arabe, celle qui ne fait aucune concession à la vérité, portée à l'écran avec un soin esthétique évident. Deux beaux films qui ont clos la liste des longs métrages en compétition, mercredi dernier.