-Le cinéma marocain semble connaître un nouveau printemps. A quand remonte le début de cette vague ? La nouvelle vague marocaine a commencé il y a une décennie avec les courts métrages et les documentaires. Et avec des réalisateurs venant d'Europe. Des cinéastes qui ont bouleversé le cinéma marocain et qui se sont installés au pays. Je peux citer Nabil Ayouche, Noureddine Lakhmari et Rachid Boutounès. En même temps, il y a eu un changement au niveau du pouvoir avec l'arrivée d'un nouveau roi (Mohammed VI a accédé au trône le 23 juillet 1999 après la mort de son père, Hassan II, ndlr). A cette époque, on avait commencé à produire des films sur les années de plomb. Il y a eu une certaine ouverture et l'Etat commençait à subventionner la production de films. Ce n'était pas le cas auparavant. Les fonds permettaient à chaque cinéaste de réaliser des films tous les deux ou trois ans. Les jeunes réalisateurs sont plus critiques dans leurs films et plus ouverts. -Ils ne croient pas à l'existence de l'interdit. Justement. Les anciens cinéastes s'étaient imposé une certaine autocensure dans leurs films. Les nouveaux cinéastes critiquent tout. Même le langage utilisé est celui de la rue, bref, le langage de tous les jours. Ce changement a boosté le cinéma marocain. Actuellement, les trois premiers films au box-office au Maroc sont des films marocains. On peut donc parler d'une nouvelle tendance qui va avec toute la politique de changement au Maroc. -Quelles sont les thématiques dominantes dans les films actuels ? Il y a la présence de la violence, par exemple. Mais il faut dire qu'on est passé par plusieurs tendances. A un moment donné, le thème de l'émigration était dominant. Puis, on est passé aux sujets liés à l'émancipation de la femme ensuite aux années de plomb. Chaque décennie, il y a une tendance. La répression, le chômage, la montée des islamistes sont repris dans les films. Aujourd'hui, le cinéma marocain critique les policiers, les islamistes… Les islamistes parlent parfois de «cinéma propre». Je ne sais pas ce que c'est le cinéma propre au moment où les cinéastes montrent tout. On peut tout voir dans les films marocains aujourd'hui. Des films qui se tiennent sur le plan technique. Ceci n'est pas valable pour toutes les productions. -Qu'en est-il du public ? Le public est attiré par la comédie. Le film La route de Kaboul, de Brahim Chkiri, est un immense succès dans les salles. Cela fait presque deux ans que ce film est programmé dans les salles. C'est un film comique avec des acteurs connus à la télévision et au cinéma (Younès Bouab, Saïd Bey, Rabie Kati, Aziz Dadas, Fatima Bouchan, entre autres). C'est un film pour tous les publics. Le casting et les décors ont aidé cette comédie qui, au fond, ne raconte pas grand-chose. Actuellement, les films Zéro, de Noureddine Lakhmari, et Les chevaux de Dieu, de Nabil Ayouche, sont bien accueillis par le public. Ici à Tétouan par exemple, Les chevaux de Dieu est resté sept semaines dans une seule salle. Auparavant, un film marocain ne restait pas plus d'une semaine. Les films qui évoquent l'amour ou le sexe n'ont pas la chance d'avoir une bonne audience. La société marocaine est conservatrice. Il y a une certaine hypocrisie aussi. Dans la vie quotidienne, vous trouvez toutes les malheurs du monde, mais on n'accepte pas de le voir sur écran. -Le langage fleuri du film Zéro de Noureddine Lakhmari a été quelque peu critiqué dans la presse marocaine. Une partie de la presse seulement ! Les jeunes semblent adorer ce film (…). L'attitude méfiante de la société peut amener certains cinéastes à s'autocensurer. Je trouve dommage qu'un cinéaste soit amené à l'autocensure. Pour moi, c'est plus grave que la censure de l'Etat. Un cinéaste doit franchir toutes les barrières. Aujourd'hui, on peut avoir tous les genres de cinéma. Il faut que tous les publics retrouvent leur cinéma. Le cinéma d'auteur doit retrouver sa place. -Et comment se fait la distribution des films au Maroc ? Nous avons perdu beaucoup de salles de cinéma. Il n'y a que dans les grandes villes qu'on retrouve des salles, mais pas dans toutes les villes. Beni Mellal, Agadir ou Oujda sont dépourvues de salles. La génération d'aujourd'hui ne sait pas ce que c'est une salle de cinéma. Certains d'entre eux pensent que le cinéma, c'est la télé. Parallèlement à cela, le piratage des films fait des ravages. Toutes les dernières productions et dans toutes les langues sont piratées. Le public du cinéma se contente donc du petit écran. La crainte est que les villes auront, comme pour le théâtre, une seule salle de projection chacune. Tétouan ne possède que deux salles de cinéma. Il n'existe qu'un seul distributeur de films au Maroc. Des films sortis il y a plus de deux ans n'ont pas encore été distribués. On connaît mieux les tendances du public et donc on cherche à distribuer les films qui ont la chance d'attirer les foules. On aime les films comiques et les films qui créent la polémique.