Dans la périphérie d'Alger, à Baraki, Linda a ouvert son salon de beauté. Installée près du centre-ville, elle accueille les femmes actives comme celles qui ont besoin d'un petit brushing à la dernière minute. Au-delà de l'esthétique, cette jeune femme gère tout, comme une chef d'entreprise. En quittant Alger, la voie rapide s'arrête et laisse la place à une dizaine de kilomètres de chemins de terre défoncés. Au bout de la route, après l'usine de fabrication de briques, une bretelle d'autoroute permet de rejoindre l'aéroport. De l'autre côté, c'est Baraki, 130 000 habitants (selon le recensement général de 2008). Face à la station-service, il faut prendre à gauche. Un long boulevard s'enfonce dans le centre de la ville. Boutiques et fast-foods alternent jusqu'à la place centrale où des vieux sont assis le long des grilles du parc. A quelques mètres de là, dans une rue parallèle, de grands autocollants de femmes bien coiffées ornent des vitres teintées. Une jeune femme perchée sur des hauts talons bleus ouvre la porte. Elle a de petits yeux noirs rieurs. Ses sourcils sont élégamment dessinés. Linda, 33 ans, est la propriétaire du salon de beauté Louisa Esthétique. Il y a cinq ans, cette belle brune, native de Baraki, termine sa formation et ouvre son salon, en face du parc. «C'était le premier, aujourd'hui, il y en a dans toute la rue !» Avoir sa propre entreprise, c'était la seule voie envisageable pour Linda : «Si tu travailles bien, tu as des clientes.» Elle a loué un local, avec un bail de cinq ans. Elle a acheté le matériel de travail. «La décoration, c'est un cadeau», explique-t-elle en montrant les quatre grandes photographies encadrées sur le mur. Des modèles asiatiques ou européens coiffés de belles boucles. «Ici, les femmes aiment avoir les cheveux ondulés.» Linda emploie trois jeunes filles, dont sa sœur, Roumeissa, 22 ans. Les tracasseries administratives ? «Les impôts une fois par an, les contrôles qualité sur les produits tous les six mois, et le reste, tous les deux mois. Ce n'est pas si compliqué», affirme-t-elle. Le salon de Linda propose une multitude de services aux femmes : brushing de tous les jours, coiffure des grands soirs, maquillage, manucure ou massage. Soins du visage Le tout, sept jours sur sept. «C'est mieux pour la clientèle», dit Linda. Les employées, elles, prennent un jour de repos à tour de rôle. Une série de diplômes encadrés se succèdent sur le mur blanc. De Hydra à Tunis, elle s'est formée du mieux possible. «J'essaye de suivre une nouvelle formation chaque année, pour renouveler ma technique», explique-t-elle. L'année dernière, Linda a travaillé sur les nouvelles coiffures libanaises, une mode «qui plaît beaucoup aux jeunes femmes d'ici». D'ici quelques jours, elle partira à Jedda (Arabie Saoudite), pour un voyage personnel, mais elle espère bien pouvoir découvrir de nouveaux produits dans les boutiques locales. Elle sort de derrière le petit comptoir un catalogue qui présente son travail. Sur la couverture, sa fille de 10 ans, Louisa, prend la pose. «Elle veut être médecin», sourit fièrement Linda. A l'intérieur, des jeunes mariées maquillées et coiffées par la jeune femme. «De telles coiffures peuvent prendre une heure», explique-t-elle devant la photographie. A Baraki, les femmes viennent voir Linda pour les grandes occasions comme les mariages. «On travaille beaucoup plus l'été, mais tout au long de l'année, nous avons des clientes abonnées», détaille-t-elle. Ces habituées sont avocate, médecin ou opticienne. Elles viennent pour les soins du cheveux ou les soins du visage. Pas plus coquettes mais plus aisées que les autres. On frappe à la porte. Une jeune femme d'une trentaine d'années entre et dénoue son foulard. «J'ai besoin d'un brushing. Je passais dans le quartier et j'ai vu votre vitrine», dit-elle en souriant. Bibliothèque En quelques minutes, Roumeissa installe la cliente dans un fauteuil blanc, lui lave les cheveux puis l'assied face au miroir. Sur les étagères, des peignes, des brosses et des pinces à cheveux sont bien rangés dans des boîtes. Une pince dans la main gauche, la brosse et le sèche-cheveux dans la main droite, Roumeissa coiffe mécaniquement. La jeune fille de 22 ans a suivi une formation à l'école de coiffure de Baraki puis elle a intégré, il y a 4 ans, le salon de sa sœur. Elle a appris sur le tas. «C'est bien de travailler en famille même si on se retrouve à la maison. Linda est mariée, alors c'est différent», explique-t-elle. Pour Linda, le travail en famille facilite surtout le rapport de confiance : «C'est difficile de trouver de bonnes employées. Dans notre métier, il faut être très rigoureux sur la propreté et l'accueil des clientes.» Linda a mis une annonce sur la porte de son salon. Elle a reçu des dizaines de réponses. «C'est un métier qui intéresse les jeunes. Et surtout, ça paye très bien !», dit-elle en riant. A ce moment-là, un jeune homme colle son nez à la vitre teintée pour essayer de voir à l'intérieur. Linda l'interpelle en riant. C'est un ami. «Nous n'avons pas de problème avec le voisinage ou la clientèle. Les gens sont gentils», affirme-t-elle. La mauvaise réputation de Baraki ? «Il faut dire qu'il y a des gens bien, qui travaillent !» Linda est née dans cette périphérie d'Alger à l'époque où il n'y avait que des champs aux alentours. Aujourd'hui, tout est différent. «D'abord, il y a des routes !», dit-elle en riant. Beaucoup plus d'habitants aussi. Et puis, les infrastructures se développent, comme la nouvelle bibliothèque, à 200 m de là. Les années de terrorisme ? Linda les balaient du revers de la main, tout ça est derrière elle maintenant. D'ici quelques semaines, son bail va expirer. Elle veut le renouveler. «Baraki, c'est mon avenir !»