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La révolution grammaticale dans la langue arabe au IIe siècle
Publié dans El Watan le 27 - 04 - 2006

Avec l'installation du pouvoir abbasside qui reflétait la composante ethnique de l'empire musulman, contrairement à l'empire omeyyade qui est resté essentiellement arabe jusqu'à sa chute, le bouillonnement culturel, scientifique et artistique allait investir le champ social d'une façon systématique et avec une certaine agressivité féconde.
Ainsi, une pléthore d'exégètes, de linguistes et de grammairiens va surgir et occuper durablement le terrain. C'est ainsi que certains grammairiens s'étaient penchés sur l'étude de la langue déployée dans le Coran et expliquaient le non-respect de la grammaire dans le texte sacré par deux raisons. L'une théologique, al ijaz. La langue coranique est sacrée. Donc elle n'obéit, par conséquent, à aucune loi et c'est en ce sens que le texte prouve l'aspect divin et constitue la preuve absolue de la véracité mohammadienne. L'autre va être de l'ordre épistémologique, donc didactique. Elle explique la non-grammatique par la période durant laquelle le Coran a été insufflé par Dieu à Mohammed, dont l'origine remonterait à Noé. Ce serait donc une langue particulière, dont les origines sont antécédentes à l'apparition de la langue elle-même. Parce que le texte sacré a pour but, tout d'abord, la clarté et la nécessité d'être compris par les gens. Si la grammaire peut gêner l'appropriation du sens, elle est et doit être négligée. Cette thèse porte en elle un chamboulement considérable qui va permettre à la langue profane de se révolutionner et de ne plus avoir des limites astreignantes. Le sens et la clarté des idées l'emportent, ainsi, sur la grammaire, voire sur l'orthographe ! Ce qui est étonnant, c'est qu'après une quinzaine de siècles, cette évolution grammaticale a été complètement oubliée et a été remplacée par un rigorisme grammaticale qui a sclérosé la langue. La régression est donc indéniable. Les raisons de cette fermeture peuvent être expliquées, aujourd'hui, par cette explication de... Lacan ! Qui explique dans ses leçons qu'une « langue n'est rien d'autre que l'intégral des équivoques que son histoire y a laissé persister ». Et l'histoire de la sphère arabo-musulmane est bourrée d'équivoques. Les autres langues, aussi, par ailleurs. Toutes les langues en fait ! Ainsi, tout le long de son développement, la littérature arabe, et ce depuis l'avènement de l'Islam et du texte sacré, a été profondément remaniée par les grands fondateurs : Moutannabi, Al Djahedh, Al Maârri, Taha Hussein et, dans notre pays, Moufdi Zakaria que l'on a rangé injustement dans la catégorie des grands révolutionnaires et des grands patriotes, alors qu'il était, surtout et avant tout un poète d'une envergure linguistique incomparable. Et qui de ce fait a bien « cassé » la grammaire arabe pour créer son propre style. Unique et inégalable. En Occident, l'exemple le plus édifiant est celui de William Faulkner qui revendiquait ses fautes de grammaire et d'orthographe en donnant comme explication la beauté du phrasé qui, disait-il, ne doit obéir à aucune règle, sinon à celle de l'intuition de l'écrivain. Il fut suivi par Louis Ferdinand Céline qui refusait la correction de ses fautes en argumentant par l'importance de la musicalité dans la phrase. Il était d'autant plus bien placé pour le faire qu'il a été le premier écrivain français à introduire massivement l'argot dans ses romans. Et l'argot, lui n'a ni grammaire ni syntaxe, par définition ! Chez les grammairiens arabes innovateurs, tels Sibaouihi et Attaouhidi, par exemple, la primauté de l'idée l'emporte sur la correction de la langue tant d'un point de vue grammatical que d'un point de vue syntaxique, voire orthographique. Ainsi, les novateurs du IIe siècle ont été plus courageux et plus avant-gardistes que les écrivains arabes de notre siècle, restés pour la plupart cramponné à leur « annahou al ouadhah » qu'ils ont appris de la bouche de leurs instituteurs. Comme on trouve chez les poètes de la nouvelle génération, cette incapacité à dépasser la métrique et le « aroudh » et qui ne font, à cause de ce corset vieillot, que fabriquer des vers et non pas produire de la poétique. Du coup, ils jouent encore le rôle de « goual » et de troubadour et veulent par leur diction camoufler la faiblesse de leur texte par leur capacité à dire leurs poèmes en se prenant pour des musiciens et des chanteurs ; alors qu'ils ne voyagent plus à dos de chameau, depuis si longtemps. Dans un poème resté célèbre pour son audace à vouloir casser sciemment la grammaire officielle et codifiée, Abou Nouas s'est carrément joué de la grammaire arabe et de la conjugaison, transformant le sujet en complément et le verbe passé en verbe présent. C'était, il faut le dire, en réplique à un cadi qui l'avait condamné pour ivresse publique... Poème iconoclaste que l'on devait enseigner aux enfants des écoles pour qu'ils comprennent que la grammaire et la conjugaison sont au service de l'idée et de l'expression et non pas le contraire. Ainsi, de régression en régression, la littérature arabe a oublié, négligé, voire renié ses origines porteuses d'une modernité incroyable. Et c'est dommage.

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