L'enlèvement de Meziane Haddad, un des frères de l'entrepreneur de travaux publics, mardi dernier, et la réclamation des auteurs du rapt d'une rançon, rappelle encore une fois l'évolution dangereuse des kidnappings en Kabylie. Depuis les trois dernières années, les services de sécurité se retrouvent confrontés à des actes d'enlèvement dont la multiplication s'est accélérée ces derniers mois. Selon des sources sécuritaires, durant les deux dernières années, le nombre mensuel de rapts, suivis de rançons, est passé d'une moyenne de 5 à 10 à un taux de 15 à 20. Les régions les plus touchées restent Boumerdès et Tizi Ouzou qui enregistrent une moyenne de 15 kidnappings par mois : 5 pour Boumerdès et 10 pour Tizi Ouzou. Le reste concerne les autres régions, notamment Tébessa et une partie de Jijel. Quelques cas ont été également recensés à Alger et ses environs », estime-t-on. Ces kidnappings, notamment ceux qui ont eu lieu en Kabylie et à l'est du pays, expliquent nos interlocuteurs, sont l'œuvre surtout des terroristes du GSPC dans le but de collecter de l'argent. « Deux paramètres ont aidé à l'évolution rapide de ce phénomène. Le premier est la situation d'insécurité qui règne depuis 2001 en Kabylie. Les groupes armés dressent des faux barrages en toute quiétude sur certains axes routiers en dehors des zones urbaines et dès qu'ils se trouvent face à des personnes aisées financièrement, comme les commerçants, les hommes d'affaires ou les industriels, ils n'hésitent pas à les séquestrer et à monnayer leur libération. Des sommes colossales ont été collectées grâce à ces pratiques. Les montants exigés sont rarement en dessous des 25 millions de dinars et peuvent atteindre largement les 300 millions de dinars. Tout dépend de la situation financière de l'otage. Le deuxième paramètre est lié au fait que la population, qui subissait le diktat des terroristes, refuse de plus en plus de payer l'impôt imposé par le GSPC, notamment chez les agriculteurs et les commerçants. Ce qui a réduit les fonds de l'organisation terroriste, laquelle trouve dans les rançons la meilleure façon d'obliger les gens à s'acquitter de leurs impôts », explique-t-on. Ces pratiques, ont indiqué nos sources, ne sont pas nouvelles chez le GSPC. En juillet 2001, le Para, alors émir de la région 5 (est du pays), avait enlevé le sénateur Mohamed Bediar à Tébessa et l'a libéré par la suite après que sa famille eut payé une somme de 300 millions de dinars. Le même chef terroriste avait mené l'opération d'enlèvement des 31 touristes occidentaux, dont la libération a nécessité le paiement par le gouvernement allemand d'une somme de 5 millions d'euros. Cet argent a servi pour de nombreuses opérations d'achat d'armes, dont une partie a été acheminée vers les maquis du GSPC. Pour nos sources, la multiplication des enlèvements ces derniers mois peut s'expliquer par deux thèses. La première, qui est la plus plausible, est la nécessité pour le GSPC de trouver les fonds lui permettant de s'approvisionner en armes. « Le manque de confiance qui gangrène les relations entre l'émir de la région du Sahara pour le GSPC, Mokhtar Belmokhtar, et l'actuelle direction de l'organisation a fait que les commandes d'armement sont toujours payées d'avance. A cette situation sont venues se greffer les nombreuses opérations de neutralisation des convois d'acheminement d'armes du Sud vers le Nord, menées ces derniers mois par les forces de sécurité. Une situation qui a poussé le GSPC à trouver rapidement des fonds pour financer d'autres convoyages d'armement », a noté notre interlocuteur. La deuxième explication, a-t-il noté, est liée aux dispositions de la charte pour la paix. Selon lui, il existe actuellement quelques éléments du GSPC qui, probablement, voudraient se rendre et bénéficier de la grâce prévue par ce texte de loi. « Mais avant de se livrer aux forces de sécurité, ils tentent d'assurer leurs arrières en amassant le maximum de fonds par le racket et les rançons. Ceux-là ne sont pas nombreux et ils agissent en solo, sans même que leurs chefs n'en soient informés. » Face à ces faits, les citoyens se retrouvent souvent devant un vrai dilemme. De peur des représailles des terroristes, ils préfèrent payer d'abord la rançon, quel qu'en soit le montant, faire libérer sain et sauf l'otage, et par la suite déposer plainte auprès des services de sécurité, dont l'intervention devient inutile. Ces pratiques ont fini par faire des émules parmi les groupes de délinquants, notent nos interlocuteurs. « Moins nombreux que ceux menés par les terroristes, les enlèvements commis dans le cadre du banditisme finissent souvent par être déjoués. Les auteurs font beaucoup d'erreurs et, pour cela, ils sont dans la majorité des cas arrêtés avant même qu'ils ne commencent à dépenser leur argent. Les montants exigés sont bas par rapport à ceux réclamés par les terroristes. Les délinquants se contentent d'une somme ne dépassant jamais les 500 000 DA. Parfois, comme cela a été le cas à Alger, l'otage est complice avec les auteurs de l'enlèvement et le but est bien sûr pécunier. Ce genre de rapts est enregistré surtout dans les grands centres urbains. En Kabylie, de nombreux cas de ce genre de kidnappings ont été signalés. Dans cette région, la conjoncture politique marquée par une carence en matière de couverture sécuritaire est propice à l'expansion de telles activités criminelles. La différence entre les groupes armés et les groupes de délinquants est vraiment infime », précise-t-on encore.