A l'approche de cette journée sympathique qu'est la fête des mères, nombreuses sont celles qui ne célébreront pas cette fête et tout spécialement l'une d'entre elles qui vit là-haut dans les montagnes de Kabylie. Qu'il était émouvant ce fils d'émigré, aujourd'hui homme et artiste, qui nous parlait, en ce 8 mars, au pied des montagnes de Kabylie ! Il nous racontait, avec des mots simples et vrais, le souvenir du départ de son père pour la France, en 1949, alors qu'il était enfant. Cet artiste, dans tout les sens du terme (peintre, musicien, apprenti écrivain) travaille beaucoup, surtout comme bénévole. Il apporte une aide importante à l'association d'Ali Zaâmoum. Lui aussi s'appelle Ali et il en est fier car il a toujours aimé l'autre Ali, le «grand». Ce qu'il nous a raconté lui a été confirmé par sa mère. Ecoutons-le. «Ce soir-là, la veille du départ de mon père, toute la famille était à la maison. Mes grands-parents ne quittaient pas leur fils d'un pas, l'aidant à remplir sa valise de quelques vêtements et, surtout, d'aliments (figues sèches, galette, couscous sec, huile, etc.), l'encourageant à manger davantage et lui faisant des recommandations. Ils l'entouraient tellement que son épouse, ma mère, ne pouvait ni l'approcher ni même échanger un mot avec lui. Comme il était très tard, tous passèrent la nuit dans la petite maison et, de ce fait, mon père dormit loin de sa femme. Celle-ci pensa naïvement qu'elle le retrouverait le lendemain, à l'aube, pendant que tous les autres dormiraient encore. Elle pourrait ainsi serrer son mari dans ses bras avant son départ. Malheureusement pour elle, les gardiens du temple, les deux vieux, étaient déjà debout. Ils prodiguaient leurs derniers conseils à leur enfant et lui faisaient les derniers adieux avant qu'il n'aille rejoindre, trois kilomètres plus loin, la station de l'unique bus ‘‘Satac'' qui l'emmènerait à Alger, au ‘‘bastion'', tout près du port où l'attendait le Ville d'Alger, bateau mythique de nos émigrés. Il venait juste de partir quand ma mère, croyant à un miracle, découvrit qu'il avait oublié ses papiers. Elle s'en saisit immédiatement et sortit en courant, pieds nus. Elle allait enfin retrouver son mari et l'avoir pour elle toute seule, ne serait-ce qu'une minute ! Mais elle avait à peine entamé sa course folle qu'un autre gardien du temple apparut. C'était un vieux cousin, sorti d'on ne sait où. Il l'arrêta en lui disant : ‘‘Où vas-tu comme ça, si tôt et pieds nus ?'' Impatiente, elle lui expliqua qu'elle allait remettre les papiers à son mari avant que le bus ne démarre. Aussitôt, notre bonhomme les lui prit des mains, se chargeant d'accomplir lui-même cette tâche. Ma pauvre mère retourna alors à la maison, meurtrie et fatiguée. Des années plus tard, elle m'avoua qu'elle n'avait jamais ressenti de toute sa vie une peine aussi grande.» Quand il eut terminé son récit, Ali nous déclara que l'hommage qu'il rendait à sa femme à l'occasion de la fête des mamans était imprégné de ce qu'avait enduré sa mère et de ce que la poésie lui avait appris. Et il nous rappela ce mot de Baudelaire : «Tout homme bien portant peut se passer de nourriture durant deux jours, mais pas de poésie.»
PS : Nous tenons aujourd'hui à saluer tendrement cette autre mère, Nana Taos si proche et si chère, qui n'aura pas de fête elle non plus car elle vient de perdre son fils Saïd si jeune encore.