Si les préjugés ont la peau dure, ils ne résistent pas toujours à la réalité du terrain, comme on a pu le constater à la faveur d'une visite au foyer pour personnes âgées et handicapées domicilié au lieudit El Djelloulia, dans la commune de Hamma Bouziane. Loin des clichés et des préjugés, cet établissement, souvent qualifié injustement de mouroir pour personnes âgées, présente au contraire un site champêtre, des espaces de détente à profusion, un hall d'accueil nickel et bien agencé avec un personnel avenant. Les pensionnaires rencontrés à ce niveau étaient tous propres et souriants malgré leur statut peu enviable de personnes abandonnées ou sans racines familiales. Une hygiène impeccable règne à tous les niveaux de notre « investigation ». Quelques mètres plus loin, au détour d'un large couloir dont le décor n'est pas sans étonner les visiteurs et notamment la présence d'un aquarium scintillant de mille couleurs, un vaste salon de détente, réservé aux hommes valides au nombre de 16, s'offre à notre curiosité. Sa conception incite à la convivialité. La lumière du jour inonde les lieux grâce à des panneaux vitrés placés sur toute la longueur de la pièce. L'hygiène est irréprochable et les fauteuils cossus et assez nombreux pour accueillir les personnes du 3e âge suffisamment autonomes pour se déplacer de leurs chambres à cet espace de rencontres et de loisirs où une télé grand écran permet à la plupart d'entre eux de rompre leur face-à-face quotidien avec leur déchéance. Les chambres sont lumineuses et avenantes. La literie n'est pas en reste. La boiserie des armoires de rangement et des lits est de qualité. Quelques pensionnaires s'affairent toujours autour de leur petit coin de vie et leur accueil chaleureux fait chaud au cœur. L'aile réservée aux femmes est identique à celle des hommes, exception faite pour leur art consommé du rangement sur lequel le poids pesant de l'âge et des coups durs du destin n'a pas prise. Au nombre de 17, elles sont toutes autonomes mais le parcours de certaines d'entre elles est pathétique et pousse à l'indignation. C'est le moins qu'on puisse dire à l'évocation des péripéties vécues par Hadda, une octogénaire, toujours bon pied bon œil. Son histoire pourrait inspirer bien des scénaristes de films mélo dramatiques. Le 22 novembre 2000, trouvée errante dans les rues de Constantine, cette femme originaire de Aïn M'lila est transférée au foyer pour personnes âgées suite à une opération de ramassage de SDF. Elle n'a aucun papier d'identité sur elle et ne parle pas un mot d'arabe. A la faveur d'une émission télévisée diffusée lors de la célébration de l'Aïd El Fitr 2004, son fils l'a reconnue. Il la croyait morte. Entourée des siens, elle retourne au bercail, en cortège et dans un concert de klaxons pour célébrer comme il se doit l'évènement. C'est le retour de la mère prodigue. Malheureusement, et c'est là que le bât blesse, son propre fils l'abandonnera une semaine plus tard devant le portail de l'établissement et ce malgré des retrouvailles miraculeuses. Deux ans après, le personnel de l'établissement n'en revient toujours pas de ce revirement de situation. On dit d'elle qu'elle est très propre, toujours de bonne humeur malgré ses malheurs mais semble souffrir d'un problème de communication. Ne parlant que le chaoui, elle a du mal à se faire comprendre des autres pensionnaires et des membres de l'encadrement. Le cas de Kheïra, dont l'âge est estimé à 80 ans, pousse également à la révolte. Originaire de la localité de Sarouel, dans la wilaya de Annaba, cette femme a été trouvée jeudi dernier en pleurs et errant dans le quartier de Bekira où venait de l'abandonner sans papiers ni argent son propre fils qui avait, une fois son ignoble forfait consommé, repris le chemin du retour. « Pourquoi le fruit de mes entrailles m'a-t-il fait ça ? », ne cesse-t-elle de répéter dans une litanie qui vous prend à la gorge. Autre cas poignant, celui de Zouina Guedjati, une centenaire de 102 ans ramenée au foyer pratiquement à la même période. Elle vivait, raconte-t-elle, chez une cousine à Aïn Abid. Ne pouvant plus subvenir à ses besoins, cette dernière l'a confiée aux bons soins du service compétent de l'APC qui a assuré son transfert vers Hamma Bouziane, faute d'une structure pouvant l'accueillir at home. Aux commandes de cet établissement, Mme Benmerabet tente, avec les moyens de bord et un personnel compatissant aux malheurs de leurs pensionnaires, de gérer au mieux leur prise en charge psychologique et médicale, même si elle est consciente que les meilleurs soins ne peuvent compenser la chaleur du giron familial. « Les pensionnaires bénéficient régulièrement d'excursions, les fêtes religieuses et les anniversaires sont célébrés dans une ambiance familiale et nous nous efforçons de développer, pour leur bien-être psychique, des activités de petit élevage de poissons d'aquarium et de jardinage », nous dira-t-elle.