La promulgation de la récente directive ministérielle, portant sur la formation du personnel enseignant et surtout celle en direction de celui qui n'est pas titulaire du bac, a déjà fait l'effet d'une bombe dans le milieu des enseignants qui relèvent des trois paliers de l'enseignement fondamental, les cycles primaire et moyen. Rappelons que cette instruction paraphée par Boubekeur Benbouzid entre dans le cadre des mesures qui vont être appliquées à la lettre dès la présente rentrée scolaire pour que « l'école algérienne ait dorénavant de bons enseignants à l'instar de leurs homologues européennes ». Pour ce faire, les instructeurs, les instituteurs et autres professeurs de l'enseignement moyen devront désormais retourner sur les bancs de l'école et s'inscrire (gratuitement et à la charge du ministère de la tutelle avec mise en place au profit des « apprentis bacheliers expérimentés » d'une batterie d'horaires aménagés à la carte pour pouvoir potasser les cours) afin d'essayer de décrocher le bac lors de la session de juin 2005. Même si ces mesures qui « ne sont pas fondamentalement obligatoires », et que le ministère de l'Education nationale compte procéder « à la création des conditions nécessaires pour convaincre les enseignants de passer le bac », les éducateurs restent dubitatifs et hautement sceptiques, et ces mesures ne font guère l'unanimité loin s'en faut chez l'écrasante majorité des concernés avec qui l'on a débattu ces derniers jours. « Pratiquement, chaque collègue au sein de mon établissement traîne derrière lui pas moins d'une trentaine d'années dans ce métier. Comment voulez-vous passer un examen dont les épreuves relèvent des programmes d'apprentissage desquels nous ne nous souvenons même pas et n'avons pas la moindre idée ? Cela relève d'une lointaine réminiscence que nous sommes dans l'incapacité de ressusciter », nous avoue Bachir S., instituteur certifié depuis 1976 (!). Mission impossible Une maîtresse d'école, en fonction dans un quartier du centre du Vieux-Rocher, 34 ans d'ancienneté, et qui a vu passer devant elle « un parterre de personnalités de renom et toujours en exercice, médecins, avocats, officiers supérieurs de l'ANP, professeurs d'université, trois journalistes à la plume confirmée, un consul général d'Algérie en Belgique et même... un ministre (!) », renchérit, non sans une pointe d'amusement dans ses propos, « les pouvoirs publics ont-ils oublié les innombrables stages de perfectionnement et les moult séminaires et autres chantiers de formation, d'abord sur le tas et ensuite à des intervalles cycliques et spécifiques dont on a bénéficié ? Que font-ils du capital expérience amassé par la plupart de mes collègues ? Certes, on n'a pas le bac, mais on dispose de la pratique et de la fonctionnalité didactiques qui, croyez-moi, valent leur pesant d'or. Pour ma part, décrocher le bac pour le bac, ça ne rime à rien, autant partir à la retraite dès à présent ! » Certains enseignants, qui sont dépourvus « du moindre diplôme universitaire », abondent dans le sens de la toute dernière répartie de Z. D., tel El Hadi B., instituteur qui a roulé sa bosse un peu partout « même dans les mechtas isolées de toutes les communes de Constantine, Mila et Jijel pendant les dures années noires du terrorisme » et qui nous dit : « Ces mesures viennent sûrement pour me prier de prendre la porte de sortie, et laisser ainsi mon poste vacant pour le recrutement d'un(e) jeune diplômé(e) d'université, puisque apparemment décrocher un emploi dans le secteur éducatif semble relever d'une mission impossible. » D'autres prennent cet événement sous la lorgnette de la boutade et de l'humour caustique réunis, telle Hanifa A., 24 ans au service exclusif de nos potaches, qui nous spécifie : « Vous imaginez la honte... passer le bac avec une(e) candidat(e) qui pourrait être aisément mon fils ou ma fille, et qui pourrait bien s'avérer mon (ou ma) propre élève ! », avant de continuer sur un ton plus sérieux et « plus professionnel » dixit « nous imposer le bac alors que même les enseignants diplômés de l'Ecole normale supérieure (ENS) (bac+3 pour le primaire, bac+4 pour le moyen et bac+5 pour le secondaire-ndlr) ne semblent point donner entière satisfaction selon les propos de notre propre ministre, il y a de quoi supputer sur la question, ne croyez-vous pas ? » D'innombrables « non bacheliers » auraient préféré que l'on privilégie en haut lieu « le sacro-saint principe de la promotion et du nivellement par le bas » et semblent regretter les défunts Instituts de technologie de l'éducation (ITE), qui « en leur temps savaient prodiguer un enseignement spécialisé de qualité en direction du personnel éducatif interne à la corporation au lieu des généralités qui sont dispensées jusqu'à ce jour dans les ENS, et où l'on réserve la part la plus congrue et la plus infime (une quinzaine de jours !) au stage bloqué et pratique sur le terrain », nous précise un inspecteur régional. A la fin, et pour l'anecdote, signalons (la liste est loin d'être exhaustive) que des personnes illustres de notre univers n'ont jamais réussi à décrocher ce satané bachot, citons le cas de J. J. Rousseau qui en a fait même l'exégèse de ses Rêveries d'un promeneur solitaire, celui du philosophe et prix Nobel de littérature Jean-Paul Sartre, du défunt Premier ministre français Pierre Bérégovoy, ou même de celui du savant physicien Albert Einstein... C'est tout dire.