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«Il est nécessaire d'élargir le système d'assurance aux actes terroristes et de sabotage»
Erwann Michel-Kerjan. Expert en gestion stratégique des risques extrêmes
Publié dans El Watan le 27 - 05 - 2013

Directeur général du Wharton Risk Management and Decision Processes Center et enseignant à la prestigieuse Wharton School of Business (Etats-Unis) ainsi qu'à l'Ecole Polytechnique en France, M. Erwann Michel-Kerjan estime, dans cet entretien, que l'assurance contre le risque terroriste est un maillon important de l'activité économique. Se couvrir contre ce risque est un défi, car, ses spécificités en font un risque difficilement assurable.
-Pourquoi les réassureurs étrangers imposent aux compagnies d'assurance algériennes des limitations de garantie en cas de sinistres notamment ceux liés aux Actes de Terrorismes et Sabotage (ATS) ?
D'abord, laissez-moi souligner que mes réponses sont personnelles et n'engagent aucunement les organisations auxquelles je suis affilié. Pour répondre à votre question, il est important de garder en tête qu'il en va ainsi de plusieurs lignes de risque, pas seulement celles liées aux ATS. C'est un moyen pour les réassureurs de limiter leur exposition à des risques catastrophiques. Souvent les assureurs eux-mêmes ne souhaitent pas une couverture pour la valeur totale d'assurance qui serait bien trop couteuse. Limiter à seulement 25% permet de limiter le coût de la réassurance dans le portefeuille financier de l'assureur. Notons aussi que réassurer 100% de la valeur totale d'assurance voudrait dire que les assureurs pensent sérieusement qu'un acte de terrorisme peut détruire l'ensemble de leur portefeuille. Ce qui est pratiquement impossible (cela voudrait dire que tous les biens assurés sur l'ensemble du pays seraient détruits simultanément).
-L'OCDE assisterait-elle l'Algérie dans ce domaine (couverture des risques inhérents aux actes de terrorismes et sabotage) à l'instar de beaucoup de pays de l'OCDE ou autres ?
L'OCDE a aidé plusieurs pays membres et non-membres de l'Organisation sur la question de la gestion financière des risques catastrophiques au cours des dernières années. Cette collaboration doit néanmoins être demandée spécifiquement par le gouvernement du pays, ce qui, à ma connaissance, n'a pas encore été le cas de l'Algérie sur la question importante de l'assurance contre les actes de terrorisme.
-Comment s'organise, justement, la couverture de ce type de risques dans les pays où des intérêts économiques stratégiques ont été par le passé la cible d'actes terroristes majeurs, comme l'Angleterre, la France, l'Espagne ou les Etats Unies ?
A ce jour, 9 pays de l'OCDE ont mis en place un systéme de couverture assurantielle se basant sur un partenariat public-privé. Les assureurs acceptent de couvrir certains risques liés au terrorisme. L'Etat intervient en dernier ressort dans le cas d'événements catastrophiques. C'est le cas par exemple en France (Gareat), en Angleterre (PoolRe), en Allemagne (Extremus), et aux Etats-Unis (TRIA). La participation de l'Etat est toujours limitée ; parfois il s'agit de réassurance pour laquelle le gouvernement reçoit une compensation de la part des assureurs (France, Allemagne), parfois cette réassurance est gratuite (Etats-Unis), parfois il s'agit d'une ligne de crédit ouverte (Angleterre) qui peut être utilisée par les assureurs mais doit être remboursée intégralement.
En Espagne, autre pays qui a beaucoup souffert du terrorisme, le système couvre non seulement le terrorisme mais aussi les catastrophes naturelles. Notons que le prix de l'assurance terrorisme varie énormément d'un pays à l'autre et que la définition de ce qui est couvert ou exclu des polices d'assurance ATS varie aussi. Par exemple, un attentat utilisant des substances nucléaires serait couvert par le programme Gareat français, mais pas par le programme TRIA américain. Cela peut poser un casse-tête important pour les compagnies multinationales qui opèrent dans un grand nombre de pays. Pour cette raison, il existe aussi un marché international qui permet à ces compagnies d'être couvertes pour des attentats qui toucheraient une de leurs activités de par le monde, appelé le « stand alone».
-Pour des raisons inexpliquées, Sonatrach semble négliger la souscription d'une garantie ATS, et ce, malgré les dommages et les lourdes pertes dues à l'attaque d'In Aménas. Quelle lecture en faites-vous ?
Sauf à y être contraint par la loi, chaque entreprise peut faire le choix de s'auto-assurer.
-Dans les cas des sites et des projets auxquels des partenaires étrangers sont associés, comment est organisée l'assurabilité du risque terroriste à grande échelle ?
C'est une très bonne question. Plusieurs pays ont fait face à celle-ci et y ont répondu en fonction de leurs priorités nationales, leur niveau de risque, leur culture et leurs institutions, et le degré de développement du marché d'assurance et de réassurance. L'OCDE et mon équipe à Wharton ont beaucoup œuvré dans ce domaine depuis 30 ans. En décembre 2012, nous avons d'ailleurs organisé à Paris une grande réunion des directeurs de pools d'assurance terroriste du monde entier et de gestionnaires de risques de plusieurs entreprises, comme Accor ou Eurotunnel, pour échanger sur les solutions concrètes d'assurabilité du terrorisme qui existent aujourd'hui au niveau international.
-Que préconiseriez-vous dans le cas de l'Algérie où la menace terroriste est plus probable que celle liée aux catastrophes naturelles ?
J'ai personnellement conduit plus d'une trentaine d'études sur les catastrophes naturelles et sur le terrorisme (du point de vue du financement de ces risques). Développer une solution d'assurance dans un pays exposé à ce type de menaces est possible. Mais les entreprises veulent-elles toujours de cette couverture ? Acceptent-elles d'en payer le prix ou font-elles le pari (dangereux) qu'elles ne seront pas touchées par un attentat ? L'Etat accepte-t-il de proposer une réassurance peu chère pour réduire le prix de cette couverture ATS, puisque la plupart des grands réassureurs mondiaux privés ne veulent pas couvrir ce risque de manière trop forte ? Autant de questions qui nécessitent des réponses avant de passer à la phase d'élaboration concrète du programme.
-Certains experts en assurance nationaux recommandent la mise en place d'un dispositif national d'assurance du risque terroriste. A votre avis, cette solution est-elle envisageable ?
Je pense que cela peut tout à fait être développé. Cela doit cependant être fait professionnellement. Je n'ai pas de doute que l'Algérie a, non seulement les moyens, mais aussi les personnes qualifiées, pour faire ce travail. Certains spécialistes internationaux peuvent aussi être embauchés pour aider à la mise en place d'un tel système. Notons que plusieurs pays européens ont récemment développé des systèmes d'assurance contre le risque terroriste. Pour eux aussi, c'est nouveau. Dans cet esprit, l'Algérie a tout à fait raison d'y penser.


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