Citant des omissions et /ou dépassements qui ont entaché le processus d'urbanisation de la ville d'Alger, ce spécialiste en génie de l'environnement et architecte alertera dans cet entretien sur les risques de catastrophes naturelles qui planent sur, non seulement la capitale, mais sur toutes les villes du pays en l'absence d'une politique d'urbanisation rigoureuse. -Quelles spécificités en matière d´organisation urbaine peuvent expliquer cette fragilité, notamment en ce qui concerne la capitale ? Concernant la capitale, il y a lieu de signaler en premier lieu l'urbanisation sauvage des années 1980 et 1990 et même après, sans se référer à ce que nous, architectes, appelons zone constructible et zone non constructible. Est-ce qu'il y a eu dans la distribution des réserves foncières par l'Etat une référence aux PDAU (Plans directeur d'Aménagement et d'Urbanisme) et POS (Plan d'occupation des sols), s'ils existaient ? Y a-t-il respect de ces plans ? Je citerais un phénomène très grave, c'est celui de la destruction massive du patrimoine forestier de la capitale, soit par des incendies, soit par des coupes illicites par les spéculateurs fonciers. Il n'y a aucune protection végétale en amont. Comme exemple, je citerais l´axe Bab El Oued-Hammamet-Raïs Hamidou-Bologhine. C'est-à-dire, la forêt de Bainem, un poumon végétal et vital pour la partie ouest de la capitale. Si cette ceinture verte n'avait pas existé, les dégâts en pertes humaines auraient été plus graves lors des inondations de Bab El Oued. Sur les hauteurs d'Alger, il fallait et il faut des ceintures vertes pour retenir la terre. Il ne faut pas oublier que la nature reprend toujours ses droits et l'eau reprend toujours son ruissellement naturel. Bloquer cela par une urbanisation sauvage, c'est programmer d'avance d'autres catastrophes naturelles. Même si un règlement urbanistique se fait au fur et à mesure à travers l'élaboration de PDAU et de POS, mais ces plans perdent leur efficacité s'ils subissent des rectificatifs et des modifications, car ils sont faits pour définir l'urbanisation planifiée et réfléchie sur le long terme, c'est-à-dire sur les 25-30 prochaines années. Puis, un règlement ne fait pas la ville s'il n'y a pas de suivi et de contrôle strict dans le respect absolu de cette planification. Pourtant, je crois qu'une police de l'urbanisme existe dans les textes, mais dans la pratique, je ne sais pas. Prenons le cas de la catastrophe de Bab El Oued, qu'on peut traduire comme la porte de l'oued. Dans ce cas précis, on a urbanisé le lit de l'oued. Je vous citerais encore une urbanisation sauvage que j'ai personnellement vécue. Prenons la région de Dély Ibrahim et Chéraga. Pour Dély Ibrahim, c'était une réserve de chasse naturelle dans les années 1950. Les citadins aisés d'Alger y allaient pour chasser le canard sauvage durant le week-end. Pour Chéraga, c'était l'élevage de vaches laitières. A elle seule, elle alimentait le centre d'Alger en lait frais dans les années 1950-1960 jusqu'au début des années 1970. Mais, il y a eu une urbanisation sauvage dans ces terrains déclarés à l'époque inconstructibles pour des raisons évidentes : terrain marécageux et aussi lit d'oued. Ils ont été livrés à la spéculation foncière et c'est devenu la zone où le mètre carré est l'un des plus cher d' Alger. -Mais la vulnérabilité ne touche pas uniquement le vieux tissu urbain… Naturellement, quand une même démarche est suivie comme le non-respect du PDAU, du POS, la modification des plans à chaque opportunité qui se présente, le non-respect de la constructibilité ou non-constructibilité de la zone, les conséquences sont les mêmes, que ce soit un vieux tissu urbain ou moderne. -La vulnérabilité est considérée comme un élément clé de la politique urbaine. Pensez-vous que cette question soit prise en compte par nos responsables? Bien sûr que la vulnérabilité est un élément clé de l'organisation urbaine. C'est pour cela que dans l'élaboration du PDAU, c'est une équipe pluridisciplinaire qui travaille ensemble pour faire émerger un plan qui fixe les terrains destinés à être urbanisés à long terme (horizon 20-25 ans). De plus, il existe des études qui ont été faites, comme celle de l'ANRH concernant l'élaboration de la carte des écoulements superficiels pour le Nord de l'Algérie (dans le cadre d'une coopération algéro-allemande), l'étude sur la «Simulation du comportement des écoulements d'eau en utilisant le réseau hydrologique d'un bassin versant : cas de l'oued de Beni Messous», réalisée en 2008 par le laboratoire de traitement d'images et rayonnement de la faculté d'électronique et d'informatique (USTHB), l'étude sur «Le risque d'inondation dans l'oued Koriche (massif de Bouzareah, Alger-Ouest), l'analyse systémique de l'aléa et facteurs de vulnérabilité», par l'université Paris-Diderot, université d'Avignon et des pays du Vaucluse et l'université Paris-Est Créteil Val-de-Marne, l'étude sur les «Risques naturels en Méditerranée occidentale», en plus du système d'information géographique (SIG) qui a été élaboré pour la wilaya d'Alger. Toutes ces études et systèmes permettent de mieux affronter cette vulnérabilité. -Qu'y a-t-il lieu de faire pour mieux gérer cette vulnérabilité urbaine ? Il faut prévenir pour gérer cette vulnérabilité urbaine. Comment ? A part le fait de terminer le projet du collecteur de Oued M´kacel pour qu'il soit fonctionnel à 100% en cas de crue, il faut faire beaucoup de prévention, c'est ce que l'Etat fait, comme le lancement de l'étude sur les zones inondables, établir une cartographie des zones inondables, qui est en train de se faire, et imposer pour toute construction une étude du sol. Il faut aussi revoir le système d'évacuation des eaux pluviales et l'actualiser, revoir le système des avaloirs et leur curage permanent, car l'acte de bâtir est un acte qui doit être bien pris en charge pour ne pas avoir des conséquences dangereuses sur la cité, de type catastrophes dues à l'inondation.