C'est un Erdogan qui a laissé son pays en ébullition qui débarque aujourd'hui en Algérie pour faire des affaires. Mais sans doute aussi un repos du guerrier pour un homme qui fait face à une incroyable révolte populaire qui a démarré sur un ton «écologique» avant de se transformer en opération de «dépollution» politique contre l'AKP et son chef charismatique, Recep Tayyip Erdogan. Les affrontements, un moment arrêtés, ont repris de plus belle dans la nuit de dimanche à lundi et durant toute la journée d'hier. Les manifestants ne font plus de quartier aux policiers qui chargent sans pitié à coups de matraque et de gaz lacrymogènes. Fait nouveau : les heurts qui étaient jusque-là circonscrits à Istanbul se sont étendus à la capitale Ankara et à Izmir (ouest de la Turquie). Et la répression a, elle aussi, gagné en intensité, à tel point qu'elle a mis dans la gêne les alliés et les amis de la Turquie qui voyaient en le régime d'Erdogan un modèle digne d'être cloné dans les pays du Printemps arabe. De Washington à Paris en passant par Berlin et Londres, les commentaires sont plutôt désolés. Les dirigeants de ces pays ont tous recommandé au régime de l'AKP de faire preuve de «retenue» dans le traitement des manifestations. L'Europe est globalement embarrassée par cette répression. La chef de la diplomatie de l'UE, Catherine Ashton, a exprimé hier sa «vive inquiétude au sujet de la violence qui a éclaté à Istanbul et dans d'autres villes de Turquie» et a «regretté l'usage disproportionné de la force par la police turque». Elle a appelé à un «dialogue ouvert pour trouver une solution pacifique». L'Allemagne, qui suit «avec inquiétude» la situation, a également prôné hier le «dialogue» et l'«apaisement». Erdogan essuie des tirs amis A Paris, Laurent Fabius, le ministre des Affaires étrangères, a appelé dimanche les autorités à faire preuve de «retenue» face aux manifestants et à analyser «les causes» de la contestation. Mais il a réfuté l'idée d'un «printemps turc». «Je rappelle qu'on a affaire à un gouvernement qui a été démocratiquement élu», a déclaré le chef de la diplomatie française. Curieusement, ce sont les Etats-Unis, allié stratégique de la Turquie, qui ont haussé le ton. Le secrétaire d'Etat américain John Kerry a condamné hier l'usage «excessif» de la force par la police contre le mouvement de protestation en cours en Turquie. Il s'est dit aussi «inquiet» des «informations faisant état d'un recours excessif à la force» par la police turque et a réaffirmé l'attachement des Etats-Unis aux «libertés d'expression et de rassemblement». Pis encore, les critiques contre la politique d'Erdogan fusent aussi de son propre camp. Le vice-Premier ministre, Bülent Arinç, a prôné hier «le dialogue plutôt que de tirer du gaz sur des gens». Le président turc Abdullah Gül a lui invité son ami Erdogan à ne pas se laisser griser par ses victoires électorales. «Une démocratie ne signifie pas seulement (une victoire) aux élections (...) Il est tout à fait naturel d'exprimer des opinions différentes (...) par des manifestations pacifiques», a affirmé M. Gül à la presse. Un rappel à l'ordre gentil, mais cinglant de Tayyip Erdogan qui menaçait, hier matin : «Nous resterons fermes !» vis-à-vis des manifestants. Mais le Premier ministre turc, qui veut prendre la présidence en 2014, a tout intérêt à écouter la voix de la raison de Gül. Surtout après la mort d'un premier manifestant écrasé par une voiture de police…