Les associations peinent à satisfaire les conditions édictées par la nouvelle loi qui régit leur existence et leur activité, plus d'une année après sa promulgation. Certaines ONG étrangères menacent de quitter le pays en raison des restrictions imposées et des acteurs associatifs appellent à une riposte pour amener le ministère de l'Intérieur à revoir sa copie. Branle-bas de combat au sein de la société civile. Les associations et autres organisations non gouvernementales n'ont plus que six mois – janvier 2014 – pour se conformer à la nouvelle loi organique régissant la vie associative. Statuts, assemblées constitutives, ou encore membres fondateurs, l'on se plie, bon gré mal gré, aux exigences de cette nouvelle réglementation et aux changements introduits. «Notre ONG sera rebaptisée ‘Association SOS villages d'enfants internationale en Algérie'. Cette loi a du bon : nous allons être reconnus comme association étrangère en Algérie, qui pourra avoir un président étranger en règle avec la loi du travail et de la résidence», se réjouit Gérard Aïssa Ruot, représentant de SOS Kinderdorf en Algérie, l'un des rares à se dire satisfaits par ce texte. Car entre des textes alambiqués, un dossier constitutif d'une lourdeur dissuasive et de réelles appréhensions quant à leur survie, les associations n'en finissent pas de décrier une loi taillée sur mesure pour bâillonner une société civile balbutiante. «C'est la croix et la bannière ! Imaginez que pour une simple association communale, un comité de quartier par exemple, il est exigé pas moins de dix membres fondateurs, dont il faut fournir casiers judiciaires et autres», s'étonne Hassina Oussedik, représentante en Algérie de l'ONG Amnesty International. Cette dernière devra ainsi se plier, en plus des dispositions inhérentes à son statut d'ONG étrangère, à l'obligation de présenter 25 membres fondateurs issus d'au moins 12 wilayas. Les agréments ne suffisent pas De même, d'un système déclaratif, il est question aujourd'hui, pour la création d'une association, d'un système d'agrément, ce qui laisse à l'administration une marge de décision plus que significative. Et si ce nouveau système est dissuasif «en amont», il l'est encore plus «en aval». «Nous avons obtenu notre agrément fin 2012, après de nombreuses difficultés. Pourtant, le plus dur reste à venir, tant nous ne savons pas comment les restrictions et autres musellements vont se concrétiser sur le terrain. Nous sommes tous en stand-by», souligne Mouloud Salhi, président de l'Etoile culturelle d'Akbou. C'est peu dire que les associations ne savent pas de quoi leur avenir sera fait. «Nous attendons de voir. Nous allons évidemment nous conformer à la loi, mais la suite dépendra entièrement de la bonne foi de l'administration», explique maître Nouredine Benissad, président de la Ligue algérienne des droits de l'homme (LADH). Cela à plusieurs égards. «Nous ne savons pas si l'agrément nous sera donné. De même, les dispositions de cette loi sont tellement vagues et arbitraires qu'organiser un séminaire sur par exemple la peine de mort, ou alors dénoncer les atteintes aux libertés individuelles sera-t-il considéré comme une ingérence dans les affaires internes du pays ?», s'indigne-t-il. «C'est une épée de Damoclès !», s'inquiète quant à elle Mme Oussedik. «Les articles sont tellement vagues que le discrétionnaire de l'administration peut mener à la dissolution pour n'importe quel motif», poursuit-elle. «Il est évident que tout a été pensé pour éliminer les récalcitrants et récompenser les autres», assène Nacéra Dutour, présidente de SOS disparus. Les membres de ce collectif risqueront ainsi d'écoper de trois à six mois de prison car, pour l'heure, ils n'envisagent pas de d'introduire une demande d'agrément et ainsi continuer à activer sans existence «légale». «Le nerf de la guerre» Et ce sont d'ailleurs les associations qui activent réellement sur le terrain qui pâtiront le plus de cette loi. «Les subventions à elles seules ne suffisent pas à assurer le fonctionnement lorsque l'association a un plan de charge important, avec la mise en œuvre de sérieux projets de développement», explique M. Salhi. Pour tout financement ou sponsoring dit «extérieur», donc non étatique, la loi stipule qu'une autorisation du ministère de l'Intérieur est obligatoire. «Mais nous savons comment fonctionne l'administration algérienne ! Avec la bureaucratie et ses lenteurs, cela prendra des mois sans obtenir aucune réponse, ce qui arrive déjà d'ailleurs !», s'écrie le président de l'Etoile culturelle d'Akbou. Des miliers d'associations ont déjà abdiqué De même, cette nouvelle loi impose une stricte restriction des financements et autres subventions, tout particulièrement les dons et legs d'organisations internationales. Pourtant, rares sont les associations qui ont pu bénéficier de subventions étatiques. «Si ce n'est la prime à la scolarité versée aux enfants de notre village, nous n'avons jamais reçu la moindre aide de la part du gouvernement», affirme ainsi M. Ruot, de SOS Kinderdorf Algérie. «A l'entrée en vigueur de cette loi et dès lors que SOS village d'enfants est reconnu d'utilité publique, il est prévu que nous recevions une subvention dont le montant doit être défini par les ministères concernés. Ce qui pourra, je l'espère, pallier les restrictions à venir», positive-t-il. Les dons et autres partenariats ne sont évidemment pas strictement interdits, cependant ils sont soumis à «approbation» des autorités compétentes : ministère de l'Intérieur, en sus du ministère des Affaires étrangères lorsque cela concerne une part étrangère. «Nous nous sommes adressés au ministère des Affaires étrangères pour avoir plus d'éclaircissements sur cet ‘avis' qu'il doit rendre et sur quelles bases il est pris. Personne n'a pu nous renseigner tant ils ne savent pas de quoi il retourne», s'étonne la responsable d'Amnesty International. «Il faut aussi qu'il existe des conventions dans ce domaine entre l'Algérie et le pays dont il est question. Notre siège est à Londres et des accords ont été signés entre l'Algérie et la Grande-Bretagne. Mais pour le reste, c'est très ambigu, contraignant et laissé à l'interprétation de l'administration», ajoute-t-elle. De tels accords n'existent pas entre l'Algérie et l'Allemagne, au grand dam de Klaus Treydte. «Il n'y a aucun accord de coopération entre les deux pays, juste des accords ministériels et une déclaration d'amitié. De la bonne volonté qui n'a pas été suivi d'actes. La Friedrich Ebert Stiftung ne peut donc pas être agréée en tant qu'ONG étrangère», déplore-t-il. Mais il ne s'avoue pas vaincu pour autant : «Nous avons deux scénarios. La fondation en est à la dernière ligne droite dans la constitution du lourd dossier exigé. L'agrément demandé est donc pour une association algérienne, ‘l'association algérienne des amis de Friedrich Ebert' qui tient plus de l'amicale, avec un président algérien et des fondateurs locaux, et un assistant civil allemand rattaché à la Fondation. Si nous obtenons cet agrément, rien ne changera dans nos activités.» Et dans le cas contraire ? «Si à la fin novembre nous n'avons aucune réponse, le bureau et l'association seront dissous et la fondation quittera l'Algérie», peste-t-il. Et de rejoindre ainsi les milliers d'associations qui ont d'ores et déjà disparu. L'application de cette nouvelle loi aura certainement le mérite de séparer le bon grain de l'ivraie dans les quelque 92 000 diverses associations locales recensées à fin 2011, dont la plupart n'ont aucune réelle activité. Mais à quel prix ?