Professeur d'économie, auteur de plusieurs ouvrages, Hamid Aït Amara, l'un des initiateurs du séminaire international sur le développement industriel, qui se tient depuis hier à la Bibliothèque nationale du Hamma (Alger) apporte, dans cet entretien express, des éléments d'éclairage sur la problématique économique de l'industrialisation dans les pays méditerranéens du Sud. Quelle est l'opportunité de l'organisation d'une telle rencontre sous le thème du développement industriel des pays méditerranéens du Sud ? Je dois dire d'abord qu'il n'y a pas de développement sans industrie. L'industrie est le centre de la dynamique de développement. Un pays qui n'a pas d'industrie est un pays qui ne peut pas se développer et ne peut pas créer de richesse. Il peut vivre sur les richesses naturelles dont il dispose mais ne crée pas de nouvelles richesses. L'industrie permet d'augmenter la richesse globale nationale et, par conséquent, de créer de l'emploi. C'est la raison pour laquelle, aujourd'hui avec l'ouverture des marchés et la libre circulation du capital, on voit bien que le peu d'industrie qu'on a et la petite industrie qu'on a mis en place, pas uniquement chez nous, mais au Maroc et en Tunisie aussi, est aujourd'hui menacé. Cette industrie est menacée au double titre par la concurrence mais aussi par le fait que les Etats, dont l'Algérie, ont renoncé à construire une politique active industrielle. Ils ont été dissuadés par la pensée libérale dominante et on a l'impression que ces Etats sont figés dans la peur de dire qu'il faut définir une politique industrielle. Pour ce qui est de l'Algérie, beaucoup pensent aujourd'hui qu'il n'existe aucune politique industrielle claire. Partagez-vous cette idée ? Bien entendu. Cela a été dit par de nombreux spécialistes. Je citerai un de nos collègues qui affirme que la pensée libérale exclut même par nature la politique industrielle, dès lors que c'est l'ouverture complète de l'économie. Aussi, lorsque les marchés deviennent globalisés, pour y avoir accès, il faut passer par les sociétés transnationales car, nous dit-on, on est trop petit pour ce genre de marché. On se donne toutes les raisons pour nous paralyser et nous autosuggestionner à ne rien faire. Il y a tout un mécanisme intellectuel et mental qui fait qu'on se désarme soi-même. Selon vous, quelle devrait être la base sur laquelle notre politique industrielle doit se construire ? C'est justement le thème du débat de la table ronde qu'on organise aujourd'hui. Mais ce que je voudrai dire, c'est que jusqu'à présent, on nous a dit que le modèle exportateur est le meilleur modèle, à l'image de l'Asie du Sud-Est, du Maroc, de la Tunisie et de tous les pays qui ont construit un secteur exportateur et qui se retrouvent plus confortés dans leur croissance par rapport à ceux qui ont opté pour le modèle de substitution à l'importation. Ce qui est scandaleux, c'est que le discours du FMI et de la Banque mondiale est très changeant. Pendant plusieurs décennies, on a accusé les pays qui favorisaient le marché intérieur, comme c'était le cas de l'Algérie, d'emprunter une voie sans issue. Aujourd'hui, on voit des pays comme la Tunisie ou le Maroc nous dire qu'ils ont péché parce qu'ils ont oublié le marché intérieur et parce qu'ils ont trop misé sur le marché extérieur. Il faut dire cependant que lorsqu'on n'est pas favorable à une bonne redistribution du revenu et à un système égalitaire, on privilégie le marché extérieur et non pas intérieur. Il faut essayer de comprendre ce qu'il y a derrière les discours pseudo théoriques et les modèles. Le FMI et la Banque mondiale défendent des intérêts de groupes spécifiques et à partir de là... on théorise.