Présentées hier à la télévision, les images de Bouteflika ont réglé définitivement un seul problème, celui du décès. Il ne l'est donc pas, ce qui met fin à la folle rumeur ayant couru à ce propos ces dernières semaines et à la conséquence qui en découle, la vacance du pouvoir. Nous sommes donc revenus à la case départ, à la lancinante question – toute légitime – que s'est posée tout Algérien au lendemain de son transfert à Paris : le président de la République est-il en mesure de mener des activités normales et donc continuer à suivre les affaires de la nation jusqu'à la fin de son mandat, en avril 2014 ? Le Président semble avoir conservé la parole, mais on ne l'a pas entendu parler. Il n'aurait pas subi de paralysie faciale, mais un de ses bras paraît être affecté. L'état de ses membres inférieurs n'est pas connu. E t si ses médecins ont évoqué une période de «réadaptation fonctionnelle», c'est qu'il a subi des séquelles dont la gravité reste à déterminer. Des exercices et des soins lui sont encore indispensables après déjà 45 jours de traitement. Le résultat n'est pas évident du fait de son âge avancé et de son état de santé général assez défectueux. N'oublions pas l'épisode : l'ulcère hémorragique de 2005 – selon la version officielle – qu'il avait traité, là aussi, au Val-de-Grâce, à Paris, et dont la conséquence a été son retrait graduel de la vie publique. Il en a gardé le regard figé, la parole raréfiée et les déplacements réduits au strict minimum. En sept années, les Algériens ne l'ont vu que dans de rares cérémonies protocolaires et ne l'ont entendu que quelques minutes. Les conséquences ont été lourdes : Bouteflika n'a pu exercer les pouvoirs exorbitants qu'il s'est appropriés dès 1999, année de son intronisation, ce qui a conduit à la paralysie de la plupart des institutions. Des clans et des personnalités de son entourage en ont profité pour s'ériger en seigneurs politiques ou/et pour s'enrichir outrancièrement. Les scandales de corruption déjà révélés par la presse ne sont que la partie visible de l'énorme préjudice porté au pays par un dirigeant suprême qui s'est accroché vaille que vaille au pouvoir, n'hésitant pas à triturer la Constitution pour qu'elle lui ouvre la voie à la présidence à vie. Faute d'institutions solides et démocratiques en mesure de porter à bout de bras des projets économiques, de les contrôler et de les suivre, d'énormes sommes, des centaines de milliards de dollars, ont été gaspillées. Comme aucun tissu industriel productif n'a été construit, les importations sont devenues la règle dans l'économie nationale, son corollaire, un chômage d'une telle ampleur qu'il a fini par dérégler l'ensemble de la société, précisément au niveau de la jeunesse. Les Algériens commencent déjà à se poser des questions sur la survie de leur pays à un horizon assez proche : les hydrocarbures qui maintenaient une certaine cohésion sociale commencent à s'évaporer sous les coups de boutoir du marché mondial, saturé et moins dépendant des énergies fossiles. S'il y a un débat à tenir dans l'Algérie d'aujourd'hui, c'est bien celui-là. Mais pour cela, il faut tourner définitivement la page Bouteflika et du système qui l'a enfanté et qu'il a mis sous perfusion. Et tout de suite, car le temps est compté. Chaque mois de perdu est une chance de moins pour l'avenir des enfants d'Algérie.