Depuis l'ouverture du champ politique, le gouvernement a rarement répondu aux interpellations des députés concernant, plus particulièrement, l'ouverture d'un débat général sur les questions «sensibles» ou «gênantes». Des propositions ont été, pourtant, formulées par des députés de «l'opposition» pour l'ouverture d'un débat général autour de la corruption, sur la situation politique et sociale, sur la problématique de la privatisation… Mais aucune de ces propositions n'a abouti en raison du refus des partis de la majorité d'adhérer à la démarche ou celui du bureau de l'Assemblée de cautionner cette initiative. Ce fut le cas pour le RCD qui, en 2010, s'est vu refuser toutes les demandes qu'il a introduites auprès du bureau de l'Assemblée pour l'ouverture d'un débat, ou alors celle du PT qui a connu le même sort. Lundi dernier, Lakhdar Benkhalef, issu du Front pour la justice et le développement (FJD), a adressé au président de l'APN une lettre signée par 65 députés de différentes obédiences revendiquant l'ouverture d'un débat général sur le phénomène de la corruption qui gangrène l'Algérie. Cette initiative est motivée par les scandales qui ont éclaboussé ces derniers mois de nombreux départements ministériels, dont ceux de l'Energie et Sonelgaz. Même si l'auteur de la proposition ne se fait pas trop d'illusions sur l'issue de son initiative, il affirme qu'il a tenu tout de même à «prendre ses responsabilités» par respect aux électeurs. «Nous sommes persuadés que le bureau de l'Assemblée ne répondra pas favorablement à ma requête, mais je tiens à assumer mon rôle de député et à l'APN d'assumer les conséquences de ses actes», note l'auteur de la proposition. Le député fera remarquer que cette initiative est personnelle et s'est réjoui de voir que des députés de plusieurs formations politiques, notamment FFS, FLN, MPA, TAJ, ont approuvé son idée. «Tous les députés que j'ai sollicités ont donné leur accord, mon but était de recueillir 30 signatures pour pouvoir enregistrer ma demande auprès du bureau de l'APN ; j'ai pu recueillir plus de 56 signatures, ce qui implique que les députés sont sensibles à cette question», indique M. Benkhalef qui précise qu'il s'agit là d'une proposition individuelle. Si ce député a gagné la bataille des signatures, il est improbable d'en dire autant concernant la concrétisation de sa doléance. Absence de volonté politique L'on s'interroge alors pourquoi l'Assemblée craint-elle l'ouverture d'un débat général ? Selon M. Taâzibt du PT, qui qualifie de louable et respectable la proposition du député, le règlement intérieur de l'APN a omis volontairement de prévoir une disposition permettant l'ouverture d'un débat général, alors que la Constitution donne les prérogatives à ce genre d'initiative. «Ceux qui ont rédigé le règlement intérieur de la Chambre basse du Parlement ont fait l'impasse sur les modalités pratiques qui donnent cette possibilité aux députés d'exiger l'ouverture d'un débat sur les questions brûlantes», explique M. Taâzibt qui observe que son parti a été victime de ce procédé. Pour lui, il n'y a pas de volonté politique pour opérer une ouverture. Un avis partagé par beaucoup de députés. D'aucuns estiment que l'APN obéit à la directive de l'Exécutif et attend le feu vert du gouvernement avant de statuer sur une quelconque proposition. Rappelons que la demande du député Benkhalef s'est faite à la suite de la réponse non convaincante du ministre de l'Energie et des Mines à une question portant sur la lutte contre la corruption. «Le ministre a parlé de généralités sans aborder les mesures prises par le ministère à l'encontre des personnes soupçonnées de corruption afin qu'elles n'influent pas sur le cours des enquêtes et échappent aux sanctions», peut-on lire dans la lettre approuvée par 65 signataires. Les personnes auxquelles les députés font ici allusion sont particulièrement celles impliquées dans des contrats entre compagnies nationales et étrangères obtenus grâce à des pots-de-vin. Il faut savoir qu'une telle demande avait déjà été formulée en 2010 par le RCD, à l'époque du premier scandale de Sonatrach. Le parti avait interpellé Ahmed Ouyahia, Premier ministre alors. Néanmoins, cette requête d'un débat général sur la corruption n'avait pas été massivement soutenue par les autres partis politiques et le gouvernement n'y avait pas donné suite. Dans son questionnement, le RCD avait expliqué qu'il est du droit et du devoir de la représentation parlementaire algérienne de demander à entendre les responsables des départements touchés par ce fléau. Trois ans après, le Parlement, sous la présidence de Larbi Ould Khalifa, un homme qui se dit ouvert à toutes les propositions, osera-t-il défier le gouvernement ?