L'Assemblée populaire nationale (APN) ressemble à « une cathédrale dans un désert » ; elle est qualifiée par les députés eux-mêmes et par bon nombre d'observateurs de « simple chambre d'enregistrement ». Les « élus du peuple », quand ils ne se distinguent pas par leur absence de l'hémicycle, ne sont, le plus souvent, intéressés que par leur confort et leurs privilèges. L'opinion retiendra qu'ils ont défendu leur salaire, mais ont très peu fait pour l'amélioration du pouvoir d'achat de leurs électeurs. A quoi sert une assemblée qui n'a jamais contrarié les pouvoirs publics et qui a rarement fait de propositions de lois ? Quelle est l'utilité d'une assemblée qui approuve systématiquement les décisions de l'Exécutif ? Des décisions ô combien contestées par la base ? A quoi servent les séances de questions orales si leur programmation intervient deux ans après leur formulation ? A quoi sert un député qui, même lorsqu'il dénonce les phénomènes de corruption, n'est pas écouté ? D'aucuns estiment que les deux dernières sessions de l'APN (celle de printemps et celle d'automne) figurent parmi les sessions les plus moroses et les plus pauvres en matière de législation. Ce sont carrément des sessions à blanc. Lors de la session de printemps, à l'exception de l'adoption, aussi bien par l'APN que par le Conseil de la nation, de la loi relative à la cybercriminalité ainsi que le plan d'action du gouvernement, aucun autre projet n'a fait l'objet de débat. Pis, la session d'automne, dont la clôture est prévue pour le 2 février prochain, n'a pas fait mieux. Hormis le projet de loi de finances 2010, aucun texte de loi n'a été proposé pour un éventuel débat. Pourtant, à l'ouverture de la session d'automne, le bureau de l'APN avait adopté un ordre du jour pour le moins « très riche » en ce qu'il comportait comme de nombreux projets et propositions de lois. Au total 14 projets. Ce faisant, l'on s'interroge sur le devenir de cette assemblée et sur les raisons d'une telle régression. Les avis des partis politiques composant cette assemblée divergent. Si les députés du RND et du FLN défendent mordicus le travail réalisé par les députés et les membres de l'Exécutif, le RCD affiche son mécontentement quant au rendement de cette assemblée « gérée par des incompétents » alors que le PT va jusqu'à demander sa dissolution pure et simple. Les personnes averties incombent cette situation au fait que l'Algérie n'a pas encore atteint le seuil démocratique acceptable en terme de culture politique et de gestion des affaires de l'Etat. Le député Taazibt, du Parti des travailleurs, est convaincu que, du point de vue politique, cette assemblée a démontré son inutilité. L'APN n'est pas au diapason de la vie sociale « Il n'y a pas de vie parlementaire au sens propre du terme. Il n'y a point d'initiative et celles prises ne sont pas encouragées », regrette Taazibt qui illustre ses propos par un exemple concret : le PT a proposé, lors de la session de printemps, l'abrogation de l'article 87bis du code du travail. Cette proposition a été acceptée dans un premier temps. Seulement, à l'ouverture de la session d'automne, cette proposition a été supprimée de l'ordre du jour sous prétexte que l'Exécutif allait élaborer un projet allant dans ce sens. Il est regrettable, explique le représentant du PT, que l'APN ne soit pas au diapason de la vie sociale. « Lors du débat sur la loi de finances 2010, le PT a proposé 55 amendements et le bureau de l'APN nous a censurés. L'APN est la continuité du pouvoir ; elle avalise seulement les projets de l'Exécutif », déplore le député. Le plus triste est de constater que l'APN refuse d'utiliser ses attributions constitutionnelles. En effet, la Constitution permet à l'APN d'initier un débat général sur des dossiers pertinents, malheureusement, ceux qui doivent influer ne font rien pour rendre cela pratique. « En 2008, nous avions demandé l'organisation d'un débat général autour de la question des privatisations, l'APN a refusé sous prétexte que le règlement intérieur de l'assemblée ne le permet pas. Nous exigeons depuis des années un débat sur le règlement intérieur afin de le rendre compatible avec la Constitution, en vain », explique M. Taazibt. Mais la question qui demeure posée est de savoir pourquoi l'assemblée est-elle descendue aussi bas. Pourquoi ce genre de tergiversations ? Pour les observateurs, les parlementaires de la Chambre basse n'ont rien fait pour se faire respecter, d'où l'indifférence de l'Exécutif et le mépris du citoyen à son égard. « Dans un pays qui se respecte, lorsqu'un député interpelle un membre du gouvernement, celui-ci répond dans l'immédiat. Chez nous, il faut attendre des années », s'insurgent les élus. Le problème de l'APN est lié au système politique Le député Belabes a rappelé que le RCD était le seul parti à avoir initié deux demandes de commission d'enquête (affaires Berriane et wali de Chlef) et le seul à avoir initié une question en plénière sur la situation sociale, notamment le pouvoir d'achat des Algériens. « Le président du perchoir nous a rappelés à l'ordre. Ceci explique que le député n'a pas le droit de sortir du cadre habituel », peste M. Belabes, qui fait remarquer qu'avant l'éclatement de l'affaire Sonatrach, le RCD a, dans l'enceinte de l'APN, demandé des comptes sur la particularité de Sonatrach qui empêche toute instance d'accéder au contrôle de sa gestion sans que cela ait trouvé le moindre écho. Les députés du RCD ont également attaqué une loi des finances destinée à cautionner une politique de prédation ; cela a provoqué des incidents qui ont abouti à une suspension de séance. Cette situation n'a pas inquiété les responsables. Tout se passe « comme si un compromis mou avait réduit la légitimité de l'activité politique au seul périmètre fixé par le système en place », note M. Belabes. Pour le RCD, le problème de l'APN est étroitement lié au système avec lequel il faut en finir de manière pacifique. « Nous revendiquons la tenue d'élections transparentes à tous les niveaux et sous la surveillance d'observateurs internationaux. Le président de l'APN, le président de la République, la majorité à l'APN... sont tous élus par la grâce de la fraude. Ce sont les incompétents qui dirigent l'APN d'où ce résultat médiocre », affirme le représentant du RCD. Le PT demande également la tenue d'élections transparentes. De l'autre côté, un député RND défend l'APN et l'Exécutif. « Le gouvernement n'a pas proposé de projets de lois parce qu'il était occupé à préparer le très ambitieux plan quinquennal 2010-2014 », a-t-il souligné, estimant que les élus étaient également occupés à régler les problèmes des citoyens au niveau de leurs wilayas respectives. Par ailleurs, pour certains observateurs, cette défaillance constatée n'incombe pas uniquement à l'APN, mais est partagée entre les députés et le gouvernement. Il est inadmissible d'installer des commissions qui chôment ; certaines n'ont jamais eu à traiter un projet car elles ont été mises en place à des fins purement politiques.